Mais qui avait déjà lu les « versets sataniques » ?

Les mots manquent face à l’agression de l’écrivain Salman Rushdie, apparemment par un débile ? un fou ? un fanatique ? un fou de Dieu ?

En tout cas, un mec qui a (sans doute) voulu suivre la fatwa de l’ayatollah Khomeiny appelant à assassiner l’auteur des « versets sataniques ».

On hallucine quand on pense que l’agresseur n’a même pas l’âge de cet ordre assassin, qui remonte à plus de 30 ans.

L’objet du soi-disant scandale : Les « versets sataniques » : un livre que la plupart n’ont pas lu, dont beaucoup parlent sans même l’avoir ouvert. Et d’ailleurs personne n’a jamais été obligé de le lire.

Moi je l’ai lu, il y a déjà une vingtaine d’années. 

Était-ce un tissu d’injures, de grossièretés, de blasphèmes ?
Pas du tout. 

Les Versets sont un roman foisonnant, picaresque, plein des fantaisies. 

On y retrouve la plume, la langue, l’écriture, l’imagination, l’humour de Rushdie, dont j’avais notamment beaucoup aimé un autre roman « Les enfants de minuit » qui nous plongeait dans un Bombay-Mumbai, grouillant de vie, de mélanges mais aussi d’affrontements entre musulmans et hindouistes. 

Que des croyants puissent être choqués par des caricatures de leur religion, c’est leur droit.

Les chrétiens, les catholiques par exemple, ne sont pas épargnés par les caricatures. Qui souvent ne font pas dans la finesse. 

Ils protestent, manifestent éventuellement, saisissent la justice. En 1988, il y a même eu un attentat contre un cinéma projetant « La dernière tentation du Christ ». 

Mais la plupart du temps, tout cela en reste là, fort heureusement. Et aucun, à ma connaissance, n’a pris un couteau ou une kalash pour massacrer le premier mécréant venu, en tout cas chez nous. Mais quand on voit ce qui se passe sous d’autres cieux, où haine et intolérance font des milliers de victimes chaque année, on peut mesurer notre chance. 

En fait il ne s’agit pas de chance. 

Cette liberté, cette liberté d’expression qui est l’ADN de nos démocraties n’est pas tombée du ciel. Elle a été acquise de haute lutte. 

Pendant des siècles dans l’occident chrétien, on pouvait être excommunié, torturé, brulé pour moins que ça. Les chrétiens ont eu leur lot d’inquisition, de livres brulés, de guerres et de massacres commis au nom du « vrai Dieu ». Dans quelques jours, ce sera le 450 ème « anniversaire » des massacres de la Saint-Barthélemy. N’oublions pas.

Justement n’oublions pas. Et revenons aux Versets lus pendant mes trajets en train. Un livre touffu de près de 800 pages écrites tout petit. Honte sur moi : Je ne suis pas arrivé au bout. 

À l’époque, je sortais le livre de mon sac sans crainte. 

Aujourd’hui, je me pose la question. Quelqu’un pourrait-il me faire une remarque, voire m’agresser si je sortais ce livre ? 

Le fait même d’en arriver à me poser cette question, me consterne.