Le blog de Pierre M. Thivolet, journaliste

Catégorie : Kourou

Législatives : La Guyane en marche mais coupée du monde !

Emmanuel Macron et le nouveau député de la Guyane: Si pas le père Noël, qui et quoi alors ?
Le candidat En Marche a donc remporté les élections partielles en Guyane. Lénaïck Adam confirme sa victoire de juin dernier invalidée pour cause de listes électorales non signées. 
Jean-Luc Mélenchon qui avait beaucoup mouillé la chemise en venant soutenir Davy Rimane, apparenté France Insoumise, dénonce une élection à la « Corée du Nord ».  Dans les communes du « fleuve », le vainqueur, Lénaïck Adam a en effet obtenu jusqu’à 98 % des suffrages.
Cette comparaison est insultante pour la Guyane et montre qu’il ne suffit pas de faire un Paris Cayenne en business class pour comprendre les particularités électorales, sociales, culturelles de ce département vaste comme un sixième de la France. Et qui n’est ni Marseille, ni le Venezuela. Il faut faire un peu d’histoire.
La deuxième circonscription de la Guyane, l’Ouest guyanais, est en fait constituée de deux régions bien distinctes.
Le fleuve, le Maroni, où vivent les descendants des esclaves échappés des plantations, il y a 300 ans. A l’époque ils réussirent à former des tribus pratiquement indépendantes. Leur pays était avant tout le fleuve, partagée entre la France d’un côté et la Guyane Hollandaise, aujourd’hui Suriname de l’autre. Leurs tribus conservèrent beaucoup d’éléments de leur culture africaine d’origine. Ils créèrent une langue nouvelle, parlée aujourd’hui par beaucoup au Suriname, le sranan tongo, une langue très différente du créole guyanais ou antillais. On les appelle les bushinengés, les « noirs de la forêt » ou « noirs réfugiés ». Depuis vingt ans, leur poids a considérablement augmenté dans la société guyanaise: Emergence de nouvelles élites par le système éducatif, et en ce sens l’élection d’un « N’djuka », Lénaïck Adam, en est le symbole.  Mais surtout, arrivée massive de nombreux bushinengés fuyant la guerre civile et la pauvreté au Suriname. Il leur suffit souvent de simplement traverser le fleuve. A la maternité de Saint-Laurent du Maroni, l’immense majorité des femmes qui viennent accoucher sont surinamiennes et leurs enfants peuvent souvent bénéficier du « droit du sol », même si, contrairement à ce que pensent beaucoup, il n’est pas automatique.
En dehors de toutes considérations politiques, il n’est donc pas étonnant que Lénaïck Adam, premier candidat originaire de ces tribus, fasse le plein des voix chez lui.
Mais l’autre partie de la circonscription, qui commence aux portes de Cayenne, et regroupe les communes de la côte, les communes des « savanes », avec notamment Kourou, est socialement et culturellement bien différente. C’est la Guyane créole. Mais ce terme doit être compris non pas dans le sens antillais, c’est-à-dire blanc colon, comme la martiniquaise Joséphine, la première épouse de Napoléon, mais noir et métis. Toute la classe politique guyanaise en fait partie : De Christiane Taubiraà l’actuel Président de région Rodolphe Alexandre, mais aussi Gaston Monnerville, président du Sénat, Félix Eboué, premier compagnon de la libération, du poète Léon-Gontran Damas ou de de l’écrivain René Maran, premier noir à obtenir le Prix Goncourt en …1921, pour « Batouala » ou « Roman nègre » !
Davy Rimane, le candidat France Insoumise, qui vient d’être battu, est lui-même un créole de Kourou. Et l’histoire de sa famille est celle d’une Guyane qui a été bouleversée par les 4O dernières années.
Jusque dans les années 60, les habitants des communes côtières pratiquaient une agriculture et un élevage extensifs, sur des terres sans vraie propriété, car la Guyane est immense. A l’abolition de l’esclavage, en 1848, les esclaves libérés ne furent pas contraints de rester travailler sur les plantations des békés, contrairement à ce qui se passa en Guadeloupe ou Martinique. Ils prirent leurs canots, remontèrent quelques kilomètres pour défricher un demi hectare ou un hectare pour y faire leur « abattis » et vivre ainsi entre cultures vivrières, chasse et pêche.  Ensuite sont venus l’or, exploités surtout par des immigrés des Antilles, et le bagne, avec pour un certain nombre de « créoles », des boulots de commerçants ou de fonctionnaires à Cayenne ou à Saint-Laurent.
Dans les années 60, l’arrivée du Centre spatial de Kourou a été un premier choc. En expropriant et achetant à bas prix des terres qui effectivement ne valaient pas grand-chose à l’époque, pour y implanter la base de lancement d’Ariane, le gouvernement français a suscité un ressentiment, un sentiment d’injustice qui perdure jusqu’à aujourd’hui.
Et puis il y a l’immigration d’une ampleur que l’on ne peut pas imaginer en métropole. En 30 ans la Guyane est passée de 50 000 à 200 000 habitants, C’est comme si la France de 50 millions d’habitants en avait aujourd’hui… 200 millions.  Les communes sont dépassées, les écoles submergées, le système de santé a explosé, et les infrastructures sont totalement sous dimensionnées. Il n’y a qu’un autre « département » dans la même situation catastrophique : Mayotte…
Tout un symbole d’ailleurs : Pour faire remonter les résultats électoraux, le gouvernement a été obligé de mettre en place en urgence un système de téléphone par satellite. Depuis plusieurs jours en effet la Guyane est coupée du web, internet et téléphone ne fonctionnent que par intermittence, le câble sous-marin qui la relie au reste du monde, ayant été accidentellement coupé. Il faudra plusieurs semaines pour le réparer.
Au pays d’Ariane, on croit rêver ou plutôt cauchemarder.
A la fin de l’année dernière, Emmanuel Macron avait prévenu qu’il n’était pas le Père Noël. Certes. Mais à défaut de cadeaux, il faudra un miracle, ou en tout cas, beaucoup, beaucoup, beaucoup de volonté et de financements pour que la Guyane ne soit plus française entièrement à part, mais à part entière.
« Désastre parlez-moi du désastre, parlez-m’en. » écrivait le poète Léon-Gontran Damas, un des pères de la négritude avec Césaire et Senghor. Il parlait de son éducation. Aujourd’hui cela s’applique à sa Guyane natale.

Dangereux en France, mais bon pour la Guyane: La méga-mine Montagne d’or

Imaginerait-on Nicolas Hulot autoriser un tel projet en métropole ? 
« Montagne d’or » : Rien que le nom, ça fait rêver. 
Et il y a de quoi car les chiffres donnés par le consortium russo-canadien pour démarrer l’exploitation d’une méga-mine d’or à 150 kilomètres à l’intérieur de la forêt guyanaise donnent le tournis.
Il s’agirait du plus grand projet minier en France: 6,7 tonnes d’or extraits sur 12 ans à partir de 2022. Au prix du marché 3 milliards d’euros, avec toutes les retombées fiscales que l’on imagine. Ca c’est côté pile. 
Côté face, ce sont les retombées « spatiales et écologiques » qui seraient d’une ampleur inconnue. Dixit une note interministérielle obtenue par l’AFP et citée par le Monde.
En clair: Creusement d’une fosse de 2,5 kilomètres de long, 500 mètres de large, 400 mètres de profondeur, deux collines de déchets de plus de 100 mètres de haut, et surtout un lac de retenue pour 54 millions de tonnes de boues polluées au cyanure.
Bien sûr les investisseurs garantissent toutes les protections imaginables, après leur passage tout sera reforesté, ce sera même plus beau qu’avant, avec en prime des centaines d’emplois créés.
Mais si à Paris on a la mémoire courte, en Guyane on sait que cela fait 500 ans que les européens fantasment sur l’Amazonie où les conquistadors situaient le fameux Eldorado qu’ils n’ont jamais trouvé. L’histoire du pays est celui d’une succession de projets mirobolants qui se sont tous cassés la figure.
En théorie, la moitié sud de la Guyane a été classée Parc national d’Amazonie*. Seules les populations tribales amérindiennes et bushinengé peuvent y vivre librement sur leurs terres coutumières.
La réalité est toute autre, liée à l’or justement. Des milliers de clandestins, venus surtout du Brésil, pratiquent l’orpaillage sauvage, détruisant la forêt, et surtout polluant au mercure les « criques », les ruisseaux en amont des rivières. Main d’œuvre misérable, ils ont importé une violence inconnue jusque là.
Là où il y a 30 ans encore, l’on pouvait boire, se laver, jouer, pêcher dans l’eau, le mercure s’est infiltré partout, dans la chaîne alimentaire et les poissons sont devenus poison.
L’emploi ? – Dans un département où le taux de chômage des jeunes est de … Non il vaudrait mieux parler du taux d’emploi des jeunes: 25 %, 30 % ? à peine  quel chantage et quelle plaisanterie ! La construction du centre spatial de Kourou, du barrage de Petit-Saut, des routes, des ponts, des lotissements immobiliers a surtout attiré une main d’œuvre du Brésil, de Guyana, d’Haïti, par dizaines de milliers. Parce que même clandestins et exploités, les conditions de travail et de vie en Guyane sont sans comparaison par rapport à leurs pays d’origine.
Sur ce plan, c’est vrai, la Guyane est un vrai Eldorado.
Alors, en France, pardon en métropole, on bloque la construction de centre de vacances pour protéger quelques hectares de zone humide à Roybon en Isère, on campe sur le tracé des pistes d’un futur aéroport à Notre-Dame-des-Landes, on interdit les recherches de gaz de schiste par fracturation en Ardèche, mais protéger ce qui fait la vraie richesse de la Guyane, son biotope qui est un des derniers d’Amérique Latine, du monde ? a être intact, là il n’y a plus personne. Emmanuel Macron, ministre, s’était prononcé pour ce projet. Quant à Nicolas Hulot… C’est silence radio. Ushuaia ne répond plus !
Une pétition a été lancée, contre ce projet de méga-mine. Mais on en parle beaucoup moins que du statut de Brigitte Macron. C’est bien dommage, mais pas étonnant: La Guyane, loin des yeux, loin du cœur.

* Le Parc amazonien de Guyane :

Pétition :
Le projet présenté sur Youtube par la société russe Norgold : https://youtu.be/FUIE1Lbf9vg

Allo Paris, ici Cayenne. Nous avons un problème.

Ségolène Royal face aux 500 frères guyanais contre l’insécurité
Jusque là tout allait mal. Mais personne ou presque ne s’en souciait.
Il faut dire que si on vous dit Guyane, vous répondez : Euh … Le Bagne ? Euh…  Ariane, les fusées ? Euh…ah ! oui, Christiane Taubira. En oubliant que celle-ci a été battue deux fois aux élections pour la mairie de Cayenne, plus une dernière défaite aux régionales de 2011. Mais nul n’est prophète en son pays. Surtout en Guyane.
La Guyane était un bon pays, un bout de forêt amazonienne où contrairement aux clichés de l’île du diable et de Papillon, il faisait bon vivre, le long de ses fleuves et de ses rivages immenses.
Mais en 30 ans, elle a littéralement explosé. Pire qu’un lancement raté d’Ariane. Passant de 50 000 habitants à 200 000 habitants. C’est comme si la France avait dû intégrer 150 millions de personnes ! Les communes, les collectivités territoriales sont dépassées par des charges qu’elles ne peuvent financer. Ecoles où 90 % des enfants ne parlent pas français ni créole. Hôpitaux où 90 % des femmes qui viennent accoucher sont brésiliennes, surinamiennes ou de Guyana. Il suffit de traverser un fleuve au milieu de la forêt pour se retrouver en France. Alors…
Et puis il y a la violence, qui s’est développée en quelques années seulement, et qui atteint des niveaux inimaginables, insupportables, 13 fois plus élevés qu’en métropole. Police, gendarmerie, légion multiplient les opérations coups de poing, augmentent leurs effectifs, mais rien n’y fait. Les autorités paraissent dépassées face aux clandestins brésiliens ou surinamiens qui viennent exploiter illégalement l’or dans l’intérieur de la Guyane, bousculant les populations tribales, polluant au mercure les rivières. Les mafias de tout poil ont transformé Cayenne en plaque tournante du trafic de drogue, les habitants s’enferment aujourd’hui derrière des grilles et la vente de Doberman fait fureur. La liste des plaies qui se sont abattues sur la Guyane semble infinie et la situation sans solution. En tout cas, aucune – sérieuse, durable – n’a été proposée, tentée par Paris.
C’est pour cela que le mouvement qui paralyse la Guyane, est plus que sérieux. Il est désespéré. Il a commencé par des actions coups de main des « 500 frères », un collectif qui proteste contre la délinquance. Il s’est amplifié parce que les autorités françaises ont tapé la fuite. Comme Ségolène Royal venue présider une Conférence internationale sur … la protection du milieu marin de la région caraïbe. Des « frères » en cagoule ont fait irruption en pleine conférence sous les yeux médusés de délégués venus des Etats-Unis, des Bahamas ou du Brésil pour réclamer à la Ministre que le gouvernement intervienne contre la violence.
Mais la Ministre s’est dépêchée de rejoindre la Guadeloupe puis les Etats-Unis où elle se place pour devenir la future Directeur du P.N.U.D.
Paris a décidé d’envoyer une délégation interministérielle mais sans aucun ministre, même pas celle de l’Outre-Mer, qui depuis Paris, a lancé un appel au calme. La ministre de l’Outre-Mer ? Ericka Bareigts. Vous n’en avez jamais entendu parler ? C’est normal, c’est une illustre inconnue, dont le choix montre bien l’importance que la France accorde à l’Outre-Mer. En d’autres temps, on aurait dépêché un ministre, voire un Premier ministre. Mais là, l’envoi de cette sous-délégation a été vécu comme un affront par les guyanais qui se sentent totalement abandonnés par Paris. Aujourd’hui le mouvement s’est transformé en grève générale. Bravo, bien joué !
Oh ! bien sûr, une solution va être trouvée très vite. Car le blocage des routes, des ports, des commerces cloue au sol le lanceur Ariane. Et chaque lancement annulé, ce sont des centaines des millions d’euros qui partent en fumée.
Mais ce ne sera qu’un pansement sur un grand corps malade, le temps de tenir jusqu’aux élections et de repasser la patate chaude aux suivants. Qui feront quoi ? Que proposent les candidats aux Guyanais, si ce ne sont de belles paroles ? Quel projet pour la Guyane et ses 50 % de jeunes, dont beaucoup sont au chômage ? Même les politiques guyanais n’ont pas de réponse.
Et pourtant la Guyane était un bon pays. Mais ça, c’était avant…

Nous vivons une e-poque formidable.

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