Le blog de Pierre M. Thivolet, journaliste

Catégorie : lava jato

Brésil, Lula : La lutte contre la corruption doit-elle avoir des limites ?

Sergio Moro: Traquer la corruption même si cela fait chuter des idoles politiques .  
Jusqu’où doit aller l’exigence de transparence démocratique ? C’est une question qui se pose chez nous, mais aussi par exemple au Brésil avec l’emprisonnement pour corruption de l’ancien Président Lula.
Bien sûr, ses partisans au Brésil, comme en France ( dans des milieux dits de gauche, les mêmes souvent qui trouvent des vertus révolutionnaires au Président Maduro au Vénézuela ) crient au complot. Et c’est vrai que beaucoup de brésiliens sont nostalgiques de ses 10 ans de Présidence où l’ancien syndicaliste, charismatique, avait su faire sortir de la pauvreté des millions de familles.
Pourtant les « petits juges » brésiliens sont indépendants. Ils sont même un des symboles de la –jeune- démocratie brésilienne. Depuis 2014, derrière Sergio Moro, juge à Curitiba, ils mènent l’opération « lava jato » – lavage express-. Cette lutte anticorruption n’hésite pas à mettre en examen, faire condamner des industriels, des hommes politiques, de droite, de gauche, des ministres, jusqu’à l’emprisonnement depuis hier de l’ancien Président Lula.
Or, la corruption, le clientélisme sont sans doute les principaux freins au formidable développement du Brésil. Cela a été mis en évidence notamment à l’occasion des chantiers pour la Coupe du monde et les JO. Et ce qui est nouveau c’est qu’aujourd’hui, la population ne l’accepte plus.
Les juges brésiliens sont le pendant tropical des juges italiens de l’opération « mani pulite » – main propre – qui avait nettoyé la classe politique italienne dans les années 1990. Ou de ceux qui en France n’hésitent pas à enquêter sur des hommes politiques, y compris d’anciens Présidents…
Avec peut-être c’est vrai les mêmes conséquences qu’en Italie : Provoquer la disparition de partis historiques et laisser ainsi la place aux démagos et populistes de tous bords.

Si Lula est éliminé du jeu politique, les possibles vainqueurs des prochaines élections présidentielles de Novembre pourraient être un ancien capitaine d’artillerie, sorte de Le Pen brésilien, ou une écolo membre de l’église évangélique. La démocratie brésilienne y aura-t-elle gagné ? Ou est-ce le prix à payer pour une démocratie propre ? A cela le juge Moro répond : « En démocratie, les gens doivent savoir ce que leurs responsables font, même quand ils tentent d’agir dans l’ombre ».

BRESIL APRES LES JO DE RIO : La tristesse n’a pas de fin, le bonheur si !

Même pendant les JO, la politique brésilienne continue!
Les JO de Rio se sont achevés comme ils avaient commencé, par une fête aux accents de Carnaval, Brésil oblige. Et n’en déplaise à ceux qui prévoyaient une catastrophe, tout s’est bien passé. La fête du sport a été réussie, la sécurité a été assurée, avec la mobilisation de dizaines de milliers de policiers et de soldats, les équipements ont été prêts à temps, ou presque, même s‘il a fallu en terminer certains jusque dans les dernières minutes. Là aussi, Brésil oblige!
Cela n’aura été une surprise que pour ceux qui n’avaient du Brésil qu’une (mé)connaissance faite de clichés tropicaux: Car quelque soient les difficultés qu’il traverse, le Brésil n’est pas un pays anecdotique, ce n’est plus un pays de seconde zone. C’est un des géants de notre monde, la septième ou huitième économie de la planète. Comme le formulait l’ancien Président Fernando Henrique Cardoso, ancien enseignant à l’Ecole de Hautes Etudes en Sciences Sociales à Paris, social-démocrate, véritable artisan de la démocratisation et du décollage du modèle économique brésilien, avant Lula : « Le Brésil n’est pas un pays pauvre, c’est un pays injuste ». Et c’est cette dure réalité que les brésiliens retrouvent, à peine la flamme olympique éteinte.
Pendant les JO, les juges anti-corruption de l’opération “lava jato”, “lavage au karcher”,n’ont pas suspendu leur travail. Plusieurs politiques de premier plan ont été mis en examen, d’autres contraints à la démission comme Eduardo Cunha, Président de l’Assemblée Nationale, artisan de la destitution de la Présidente Dilma Rousseff. Il risque la prison.
L’étau se ressert aussi autour de l’ancien Président Lula. Il a beau être populaire et charismatique, il semble bien avoir trempé dans la gigantesque affaire de corruption liée à Petrobras, l’entreprise nationale de pétrole. Au total, ce sont des dizaines, voire des centaines d’élus qui risquent le même sort, toutes étiquettes politiques confondues.
Le paradoxe est qu’une des moins corrompues semble être Dilma Rousseff, la Présidente suspendue. Il lui est reproché d’avoir maquillé les comptes de l’Etat pour favoriser sa réélection il y a deux ans. En fait elle paie à la fois la mise en cause pour corruption de nombreux de ses amis politiques et son incapacité à relancer l’économie du pays en pleine récession. Et elle a beau crier au « coup d’état », message relayé en France par une partie d’une presse restée aux années 1970, aux heures de la dictature militaire, dans quelques jours, le Sénat devrait confirmer sa destitution
Michel Temer, l’actuel Président par intérim, essaiera alors de tenir jusqu’aux prochaines élections prévues pour 2018. Mais il n’a ni la légitimité du suffrage universel, ni charisme, ni popularité, et une partie de ses soutiens politiques, ministres, députés ou sénateurs, sont déjà eux aussi rattrapés par les juges.
Même s’il s’y refuse, nombreux sont ceux aujourd’hui au Brésil qui réclament des élections anticipées.
Ce qui ne sortirait pas forcément le Brésil de la crise politique: La corruption est au cœur du système électoral. Bien souvent élections riment avec clientélisme et achats des voix. Un système aussi vieux que la République brésilienne et qui commence à peine à être purgé par la justice. Ce qui est nouveau cependant c’est que les brésiliens ne se laissent plus endormir. C’est le sens de toutes ces manifestations qui se sont multipliées non pas ces derniers mois, mais depuis plusieurs années, au moins depuis la Coupe du monde de football il y a deux ans. Les scandales liés au détournement d’argent dans la construction des stades et des infrastructures, ont été le grand déclencheur. Car, pour les classes moyennes aujourd’hui majoritaires au Brésil, la corruption est le principal frein au développement du pays. Mettre fin à la corruption, c’est relancer la croissance. Une épreuve plus difficile qu’un décathlon avec Kévin Mayer, un 100 mètres avec Usain Bolt, un combat avec Teddy Riner.
Et il est bien fini le temps où la fête et le Carnaval pouvaient faire illusion. Comme le chantaient les grands Antonio Carlos Jobim et Vinicius de Moraes :
« Le bonheur des pauvres est
La grande illusion du carnaval (…)
La tristesse n’a pas de fin,
le bonheur si ! »
Nous vivons une e-poque formidable.

Brésil en crises : Rio ne répond plus…

–>

Opération “Lavage intégral” , vue par les caricaturistes
C’est la semaine, le mois de tous les dangers pour Dilma Rousseff. Tous les appuis de l’actuelle Présidente du Brésil fondent aussi sûrement que neige au soleil. Et au Brésil, il y très peu de neige et pas mal de soleil.
Le coup de grâce vient d’être porté par ses « alliés » de la coalition au pouvoir qui regroupe son parti, le PT, le Parti des Travailleurs, celui de l’ancien Président Lula, et plusieurs partis centristes.
Début mars, c’était d’abord le Président du Parlement, Edouardo Cunha, qui apprenant que malgré son immunité parlementaire il serait quand même prochainement jugé pour corruption, approuvait la procédure de destitution de la Présidente. La justice reproche en effet à Dilma Rousseff et à son parti d’avoir truqué les comptes publics pour gagner les dernières élections.
Depuis hier, c’est au tour du Vice-Président Michel Temer. Il annonce qu’il est prêt à exercer l’intérim en cas de destitution de Dilma Rousseff et son parti, le PMDB ( 69 députés, 7 ministres ) vient de  décider de quitter la coalition. La voie paraît donc être ouverte pour la destitution de la Présidente qui pour être prononcée doit être approuvée par 2/3 des députés. Ironie de l’histoire : Le PMDB est lui aussi éclaboussé par la corruption. On se demande d’ailleurs qui dans la classe politique va échapper à l’opération « Lava jato » – une expression utilisée pour le lavage automatique des voitures, quelque chose comme « opération Kärcher », engagée par la Justice fédérale, la police fédérale et la Cour Suprême. Un des symboles de cette nouvelle indépendance et pugnacité de la justice au Brésil, le « petit juge » de province, Sergio Moro, qui a été le premier à dévoiler les ramifications spectaculaires de la corruption. Et notamment l’importance des pots de vin versés par la première compagnie brésilienne, Petrobras, la société nationale du Pétrole. Sont également concernés les très nombreux groupes de travaux publics, qui ont copieusement arrosé par exemple pour obtenir les grands chantiers d’infrastructures, ceux de la Coupe du Monde ou même des Jeux Olympiques. Ce sont des dizaines de PDG, de députés et de ministres qui sont aujourd’hui poursuivis, mis en examen, emprisonnés.
Jusqu’à l’ancien Président Lula, dont on découvre qu’il est loin d’être un saint et que son passé d’ouvrier syndicaliste de la métallurgie n’était pas une garantie d’honnêteté et de vaccin contre le goût du luxe. Pour tenter de le sauver de la case prison, la Présidente Dilma Rousseff a maladroitement aggravé encore un peu plus son cas en tentant de le nommer chef de cabinet de la Présidence, équivalent de Premier ministre. Un tour de passe passe qui n’est pas passé, sa nomination a été retoquée.
Ses partisans, les sympathisants du Parti des Travailleurs, crient au complot politique, à un coup d’état, à une déstabilisation ourdie par la droite et les milieux d’affaire. Mais ils ne sont guère entendus, sauf à l’étranger, en France notamment, où certains, toujours sous le charme du merveilleux conte de fée tropical « Lula l’ouvrier devenu Président », relaient cette théorie du complot. Mais cela ne tient pas: Un temps inquiets par l’ancien syndicaliste, les milieux d’affaire ont été ravis et bien servis par la Présidence Lula. Ils ont formidablement profité de la croissance de l’économie qui a fait du Brésil la 7 ème économie mondiale, et intégré plus de 40 millions de brésiliens dans les classes moyennes, donc dans les circuits de consommation.
Les opposants sont eux aussi de plus en plus nombreux dans la rue, scandant cette phrase de Lula, du temps où il était de gauche : « Au Brésil, quand un pauvre vole, il va en prison ; quand un riche vole, il est nommé ministre ».
Tout cela sur fond d’une crise économique sans précédent : En deux ans, tous les clignotants sont passés au rouge: Récession, – 3, 8 % de croissance économique -, inflation, explosion du chômage. On se demande s’il y a encore un pilote à la tête du Brésil.
Pourtant cette crise brésilienne pourrait avoir un bon côté; Elle est le signe du formidable bond en avant vers la démocratie. On ne fera plus gober aux brésiliens n’importe quel bobard. Et ils ne se contenteront plus de carnaval, d’une Coupe du monde de « futebol », ni de Jeux Olympiques pour qu’on les arrête sur le chemin qui mène à un Brésil plus propre. Or l’un des principaux freins au développement du Brésil, dénoncé par la Banque Mondiale, le FMI, ou Transparency International, c’est justement la corruption, le manque d’efficacité d’une administration corrompue. Avec le « lava jato » qui est en cours, le Brésil est peut-être en train de franchir une étape décisive qui le fera sortir de cet état de géant au pied d’argile qu’il y a un siècle Georges Clémenceau décrivait ainsi : « Un pays d’avenir qui le restera longtemps ». Les brésiliens aujourd’hui ont envie que leur avenir de géant mondial devienne enfin leur présent.
Nous vivons une e-poque formidable !

© 2025 BLOGODO

Theme by Anders NorenUp ↑