Le blog de Pierre M. Thivolet, journaliste

Catégorie : Mur de Berlin

BERLIN, le mur : 30 ans déjà : Le 9 novembre, nul besoin d’être allemand pour être emporté par la joie de la liberté.

Un moment unique de joie partagée
Par Pierre Thivolet, ancien correspondant de TF1 en Allemagne
On le sait maintenant : le 9 novembre, rien ne bougeait à Berlin-Est. Jusqu’à cette fameuse boulette de communication du porte-parole du Parti Communiste, bafouillant que « ce soir, maintenant, les allemands de l’est pourraient voyager librement ». C’était vers 18 h. Sur le coup, rien ne bougea non plus. Les allemands de l’Est attendèrent les JT des chaînes de l’Ouest, que tout le monde à l’Est regardait clandestinement, pour y croire et pour vers 21h, 21h 30 se rendre aux checks-point du mur, munis de leurs papiers. Et là…
Et là, 30 ans plus tard, j’en ai encore la chair de poule, les larmes aux yeux. On a rarement dans une vie de journaliste, dans une vie tout simplement, la chance de vivre de tels moments. 
Un événement historique bien sûr, mais surtout la joie / qu’il était impossible de ne pas partager/ le bonheur d’être libre, un bonheur tout simple et immense à la fois.
C’était beau. 
Il n’y avait pas l’once de nationalisme ou de revanchisme allemand, et dans cette joie, tous pouvaient se sentir inclus, d’où que l’on vienne. 
Rien d’étonnant donc à que le musicien russe exilé Rostropowitsch ait pris le premier avion avec son violoncelle, pour venir jouer du Bach au pied du mur. 
Ni à ce que tant d’anonymes , des étudiants , et même des hommes politiques aient foncé vers Berlin pour venir vivre ces moments-là. 
C’était très beau, ces rires, ces pleurs, ces chants dans la nuit, et les cloches de toutes les églises de Berlin-Ouest qui se mirent à sonner. La liberté n’était plus un mot, un concept, elle devenait devenait concrète . 
Dans les nuits et les jours qui ont suivi, nous n’avons pas touché terre. 
Berlin avait été submergé par des millions de personnes qui voulaient visiter Berlin-Ouest, se balader sur le Ku-Damm, et acheter des « bananes ». Les bananes, ce fruit dont les allemands de l’Est étaient pratiquement privés, leur apparaissaient comme le comble du luxe.  Il fallut d’urgence en importer pour ravitailler les magasins de l’Ouest. 
Un immense bouchon paralysa la ville, il fallut très vite élargir les postes frontières, puis ouvrir des brèches dans le mur, chaque nouvelle ouverture était un événement, jusqu’à la Porte de Brandebourg, quelques semaines plus tard. 
Nous avons travaillé non-stop : Tournage , montage, mixage, et hop ! en selle sur une moto que nous avions louée pour nous rendre en roulant sur les trottoirs, à contre-sens du flot de voitures, à 10 kilomètres du centre de Berlin, à Adlershof, le siège de la télévision est-allemande, d’où nous diffusions vers Paris. 
Tous les réseaux téléphoniques ou satellites étant totalement submergés à l’Ouest, c’était d’ailleurs notre seul moyen de communiquer avec la rédaction. TF1 n’ayant pas prévu au départ, contrairement à Antenne 2 de Christine Ockrent, d’envoyer des moyens techniques supplémentaires, pendant 3 jours, seuls nos reportages et nos directs depuis l’Est arrivaient à Paris. 
Pour TF1 une boulette, certes moins historique que celle de Günter Schabovsky,  mais un « ratage » quand même, un mauvais souvenir qui a été ensuite rapidement mis sous le tapis. 
Un matin, sur notre moto à contre sens, nous avons fait une embardée en essayant d’éviter une voiture, un instant j’ai imaginé un accident, et nous gisant à terre, sans possibilité d’être secourus, car tout était bloqué ; et je me suis dit : « C’est couillon, je vais mourir là dans l’indifférence générale alors que autour de moi c’est l’Histoire qui est en marche ». 
Et puis , il y a eu l’après, 
Helmut Kohl effectuant sa première visite à Dresde, 
François Mitterrand à Berlin, et puis les élections libres, et puis, la réunification, et puis, les premières agressions contre des étrangers et puis… Et puis …je vous le raconterai demain .
Et l’on écoute quelques mesures des « Suites pour violoncelle » de Jean-Sebastien Bach , joué par Rostropowitsch , le 11 novembre au pied du mur…
https://www.dailymotion.com/video/x29e4y2

Berlin, le mur : 30 ans déjà…Putain, comme le temps passe ! par Pierre Thivolet, ancien correspondant de TF1 en Allemagne

30 ans déjà par Pierre Thivolet, ancien correspondant de TF1 en Allemagne
30 ans déjà : 
J’ai toujours refusé de céder à la tentation de l’ancien combattant : « Tonton, raconte-nous Haïti, le Chili, le mur de Berlin ! ». Mais depuis quelques jours on nous rabâche les oreilles sur le thème : « Il y a 30 ans, dans la nuit du 9 novembre, le mur de Berlin s’est effondré »
Ah ! bon ? Vous y étiez ? 
Ce soir-là, le mur ne s’est pas effondré. Dans les rétros que diffusent les télés ou que publient les journaux, l’on mélange allègrement les images: Le démontage du mur, une grue qui enlève une dalle en béton : Tout cela n’a commencé que plusieurs jours voire plusieurs semaines après.
Si ce soir-là, le béton du mur n’est pas tombé, c’est son symbole, celui de la division de l’Europe, de la guerre froide, qui s’est écroulé. Ce qui reste impressionnant, ce sont ces milliers de personnes connues ou inconnues, et pas seulement des allemands, loin de là, qui ont eu le « réflexe Rostropovitch ». Comme le célèbre violoncelliste, tout lâcher, et prendre le premier avion, le premier train, la première voiture pour foncer vers Berlin. 
Certains en ont un peu trop fait, en prétendant avoir été là, le soir où… Ce qui était matériellement impossible : Même le Chancelier Kohl, en voyage officielle en Pologne, n’est arrivé que dans la nuit .
Pourtant, nous n’étions pas nombreux ce soir-là, cet après-midi là, au centre de presse international à Berlin Est. Là où une bévue du porte-parole du comité central du Parti communiste, Günter Schabowski a provoqué ce qui allait suivre. Nous n’étions pas nombreux vers 9 heures du soir dans les rues quasi désertes de Berlin-Est ou devant les check-points d’Invalidenstrasse ou Bernauer strasse. Il y avait Philippe ( Rochot) de France 2, Luc ( de Barochez ) à l’époque pour l’AFP et puis ?… 
Donc, je m’en vais vous narrer ce dont je me souviens, et qui commence quelques mois plus tôt en Hongrie, quelques semaines avant à Leipzig, les Lundis soir autour de l’église Nicolas. 

On écoute Patricia Kaas : D’Allemagne : « De quel côté du mur la frontière vous rassure ? »


A suivre : Rendez-vous à Leipzig pour les montags demo manifs du Lundi.

Les 30 ans du JT de Jean-Pierre Pernault et le mur de Berlin.

En direct dans le JT de Jean-Pierre Pernault
Toute le semaine TF1 a fêté les 30 ans du journal de 13 heures présenté par Jean-Pierre Pernault. Après avoir été moqué comme un journal un peu plouc, le succès et la longévité de la formule ont fait taire les critiques. Et beaucoup ont reconnu le mérite de parler de la France de partout et non pas uniquement de Paris.
Mais Jean-Pierre Pernault ne s’intéresse pas uniquement à l’actualité franco-française. Et cela a été rappelé dans une rétrospective diffusée jeudi soir dans le journal de Gilles Bouleau. Les moments forts des 30 ans du journal de 13 heures avec notamment l’ouverture du mur de Berlin.
Et c’est vrai, qu’en raison de la chronologie, le mur ouvrant dans la nuit du jeudi 9 novembre 1989, c’est bien le 13 heures du Vendredi 10 novembre qui a diffusé notre premier reportage réalisé à Berlin-Est où je me trouvais avec mon équipe depuis plusieurs jours.
Mais Jean-Pierre Pernault a fait mieux. A l’époque, la rédaction de TF1 avait peut-être un peu sous-estimé l’importance de ce qui était en train de se passer. Même si Patrick Poivre d’Arvor a toujours été intéressé et prompt à réagir à l’actualité internationale, et aux propositions remontées par les correspondants à l’étranger, ce week-end là TF1 était passée à côté de l’Histoire. En raison de l’encombrement des liaisons satellites traditionnelles, aucun sujet envoyé par les équipes dépêchées à Berlin-Ouest n’arrivait à temps à Paris. Les seuls reportages qui parvenaient à être transmis régulièrement étaient les nôtres diffusés depuis la télévision est-allemande à Adlershof.
Le samedi soir, alors que nous nous trouvions dans la régie de la télévision de Berlin-Est, la technique à Paris me fait partager l’ambiance à la rédaction : « Patrick Lelay vient d’arriver. Il hurle. Il veut tous nous virer. Certains pleurent ». « Mais qu’est-ce qui se passe ? » « Le ratage depuis Berlin-Ouest. L’émission spéciale programmée pour le samedi 13 heures annulée ».  J’explique que nous pourrions peut-être tenter un coup depuis Berlin-Est. On me passe Patrick Lelay. Il m’écoute en silence. Je lui explique que nous avons de bonnes relations avec les dirigeants et les équipes de la télévision est-allemande et qu’ils ont les moyens d’organiser un direct depuis le mur, côté Est. Mais que ça va coûter de l’argent et en devises de l’Ouest. Réponse immédiate « Carte blanche ». Dans la nuit nous négocions avec la télévision est-allemande. Et le Lundi 13 novembre dans le journal de Jean-Pierre Pernault, nous réalisons le premier direct debout sur le mur côté Est, donc inaccessible aux journalistes de l’Ouest, devant la Porte de Brandebourg. Il m’avait semblé à l’époque que Jean-Pierre était ravi que ce premier direct se déroule dans son journal. Pour toute notre équipe à Berlin ce fût également un moment inoubliable. Et en ce qui me concerne je me souviens qu’à quelques secondes près, j’ai évité une chute spectaculaire. Pas celle du mur, mais la mienne, du mur. En effet, pendant le direct je me déplaçais en reculant sur le mur qui était très étroit. Juste après avoir rendu l’antenne, en baissant les yeux, j’ai découvert que deux de mes collaborateurs étaient accroupis, près à m’attraper les pieds, je n’étais qu’à quelques millimètres du vide. Une question de plus de Jean-Pierre et je basculais !
Bravo pour ces 30 ans de JT, Jean-Pierre.  

Helmut Kohl est mort: Tant de bons souvenirs de Bonn !

Helmut Kohl “la Poire”: Sacré grand homme !
Helmut Kohl est mort. Ça fait tout drôle. Bien sûr, c’est dans l’ordre des choses. Bien sûr, on savait qu’il était malade. Mais quand on a suivi ce géant, car l’ancien Chancelier était un géant physiquement et par les hasards de l’Histoire, comme correspondant pendant toute cette période extra-ordinaire entre 1987 et 1989, la chute du mur, 1990, la réunification, les premières élections libres de l’Allemagne réunifiée, 1991, le transfert de la capitale à Berlin, la mort d’Helmut Kohl fait remonter tant de moments intenses sur le plan professionnel et personnel, d’images fortes, de beaux souvenirs, de bons souvenirs de Bonn, de l’Allemagne de Bonn, capitale de la RFA.
Et l’on prend conscience que Français, Allemands, Européens d’aujourd’hui ne se rendent pas compte du chemin parcouru, des bouleversements incroyables que nous avons connus, en mieux, depuis 30 ans. Nous avons peut-être raté quelque chose dans la transmission de comment c’était avant…
Mes confrères envoyés spéciaux ou correspondants – comme moi pour TF1 – témoignent avec talent de cette époque. Chacun rapporte ses propres souvenirs passionnants d’une ou de plusieurs rencontres avec le Chancelier. Philippe Rochot de France 2, Jean-Marc Gonin, Michel Martin-Rolland de l’AFP. Des souvenirs chaque fois différents qui dessinent autant de facettes d’un personnage dont nous réalisons aujourd’hui à quel point il fût important, historique… Mes souvenirs sont moins précis, moins politiques, plus anecdotiques.
Il faut imaginer Bonn en 1987. Une petite ville tranquille, très clean, genre petit village suisse, de Suisse alémanique, où jeter un papier de bonbon par terre pouvait créer une émeute, une ville morte à partir de Vendredi, 15 heures, tous les fonctionnaires s’empressant de rejoindre leurs régions d’origine. A l’exception du petit centre historique, avec sa belle université, sa place centrale, son hôtel de ville baroque et la maison de Beethoven, c’était une ville administrative sans âme construite le long d’une ligne de tramway parallèle au Rhin, jusqu’à Bad Godesberg, la banlieue chic, une sorte de mini-Neuilly, le quartier des ambassades, des résidences des expatriés. Ordonnée, propre, tranquille, des bâtiments officiels, des ministères sans âme, sans identité. C’était Deutschland AG, Allemagne Société Anonyme, et d’ailleurs la ville était dominée par une tour coiffée d’une étoile Mercedes, que l’on voyait briller la nuit au-dessus des toits.
La Chancellerie ressemblait au siège d’une compagnie d’assurances; À peine un drapeau sur le côté d’une guérite vert de gris, et sur la pelouse une (affreuse ?) statue du sculpteur Henry Moore.
Heureusement il y avait le Rhin, qui faisait évidemment remonter des souvenirs de poésie allemande mal apprise, ces vers superbes qui commencent le poème La Lorelei de Heinrich Heine: « Die Luft ist kühl und es dunkelt, Und ruhig fließt der Rhein ». « L’air est frais, l’obscurité descend, et le Rhin coule calmement ».
A l’époque Helmut Kohl était plutôt moqué. Devenu chancelier à la faveur d’une trahison du petit parti libéral FDP, qui en 1982, avait poignardé les sociaux-démocrates et fait alliance avec les chrétiens-démocrates, Helmut Kohl était surnommé « Die Birne » « La Poire » et caricaturé en forme de ce fruit, à cause de la forme de son visage. Et l’on racontait les pires blagues sur sa supposée inculture ou son côté « fruste », ce qui était totalement injuste, Kohl étant notamment un passionné d’Histoire. Il y avait même des livres de blagues «  les Kanzleramt Witze », « Les blagues de la chancellerie », qui brocardaient « Kohl ist doof » « Kohl est bête » et qui ironisaient sur sa maîtresse cachée -mais c’était un secret de polichinelle, c’était son assistante -.
Parmi les blagues, celle-ci par exemple :
« C’est l’été, il fait très chaud et toutes les fenêtres des bureaux de la chancellerie sont ouvertes. C’est l’heure du déjeuner. Un conseiller est en train de manger un sandwich à sa fenêtre. Soudain un coup de vent et le papier gras de l’emballage s’envole, tombe d’un étage et entre par la fenêtre dans le bureau du dessous. C’est celui du Chancelier. Le conseiller affolé se précipite, entre dans le bureau de la secrétaire d’Helmut Kohl pour qu’elle récupère le papier. Mais celle-ci lui répond: « Trop tard, il a déjà signé ! ».
Et puis, il y eut cette soirée de novembre 1989. Le 9 novembre. Nous étions à Berlin-Est, où siégeait le comité central du Parti communiste, en crise. Le vieux dirigeant Erich Honecker venait d’être viré sous la pression de Gorbatchev. Les citoyens est-allemands étaient de plus en plus nombreux à tenter de s’enfuir à l’Ouest, mais personne ne se doutait que ce soir-là serait LE soir. Surtout pas Helmut Kohl qui effectuait une visite officielle en Pologne. Après l’annonce maladroite, la bourde, du porte-parole du Comité central, devant nous la presse étrangère vers 18 heures, ce 9 novembre, l’Histoire va se précipiter à partir de 21 heures ? 22 heures ? devant les différents check-points, les poste-frontières de Berlin-Est. Lorsque la foule devient trop importante, les gardes finissent par ouvrir les barrières et c’est la ruée vers l’Ouest. Quand Helmut Kohl est mis au courant qu’il se passe quelque chose à Berlin, que le mur est en train de s’ouvrir, sur le coup personne ne pense qu’il s’agit de la chute du mur. Le Chancelier décide de rentrer en Allemagne et de se rendre directement à Berlin. A Berlin-Est, le gouvernement est divisé. Certains voudraient envoyer les troupes d’élite, fermer les frontières, refouler les candidats au départ à l’Ouest. Ils alertent Moscou. Gorbatchev appelle Helmut Kohl, avec lequel il a noué des relations de confiance, qui le rassure : « Les soviétiques, l’armée soviétique, ne sont absolument pas menacés. Tout est pacifique, aucune agressivité ». Et Gorbatchev fera savoir à Berlin-Est que ses soldats ne bougeront pas.
Fin d’une histoire, début d’une autre, celle de l’Allemagne, de l’Europe réunifiée. Car ensuite tous les murs sont tombés et nous avons retrouvé tous ces européens que nous avions passés par perte et profit de l’autre côté du mur, du rideau de fer. Même si les choses ont parfois tourné au vinaigre, au tragique, avec notamment l’épouvantable guerre civile en Ex-Yougoslavie, où la mésentente entre français et allemands a justement joué un rôle.
Cela paraît incroyable aujourd’hui quand on passe sans faire attention sous la Porte de Brandebourg, à Berlin alors qu’on ne pouvait que l’apercevoir au milieu d’un no man’s land militaire. Et Postdamer Platz, aujourd’hui avec toutes ces tours, ces cinémas, là où il n’y a pas 30 ans, il n’y avait rien, que du sable et des gravats. On cherche le souvenir du mur : « Tiens ! Tu te souviens, il passait ici, il coupait la Spree, et là, le long du mur est du Reichstag. ». Et justement le Reichstag aujourd’hui magnifié par cette superbe coupole transparente sous laquelle siège le Parlement. Et la nouvelle Chancellerie, et les ministères. Quand on pense qu’en 1990, il n’était pas du tout acquis que le siège du gouvernement allemand revienne à Berlin. Beaucoup des conseillers d’Helmut Kohl étaient comme lui rhénans, plus tournés vers l’Ouest que Berlin qui est à 80 kilomètres de la Pologne. Et puis il y avait le poids des habitudes. Jusque dans les cercles diplomatiques. Beaucoup à l’Ambassade de France avaient fait des gorges chaudes lorsque nous avions décidé de transférer les bureaux de TF1 de Bonn à Berlin en janvier 1990. « Mais cela ne se fera jamais » « Ils sont trop jeunes. Ils ne connaissent pas l’Allemagne ».
Mais début décembre 1989, juste un mois après l’ouverture du mur, il y eut ce premier voyage d’Helmut Kohl en Allemagne de l’Est, à Dresde. Bien sûr le chancelier avait présenté fin novembre un plan en 10 points, raisonnable progressif, organisant une éventuelle réunification. Mais ce soir-là, il fût dépassé par la foule comme les dirigeants est-allemands. Il fallait voir Helmut Kohl, porté par une vague qui s’étendait jusqu’aux ruines de la Frauenkirche – quand on pense que cette cathédrale est aujourd’hui reconstruite comme d’ailleurs beaucoup du centre de cette ville merveilleuse alors qu’en 1989, tout était encore très en ruines – . Et les gens lui criaient : « Nous voulons le Deutschmark. ». Ce soir-là, il était clair que la RDA ne tiendrait pas le choc de l’ouverture à une économie beaucoup plus puissante. C’est ce soir-là sans doute – en tout cas il nous l’a confié par la suite – que le Chancelier qui n’était pas un obsédé de la réunification, s’est dit: C’est irréversible et il faut aller vite si l’on éviter que cela ne dérape.
En moins d’un an, tout fut réglé. Jusqu’à l’unification le 3 octobre 1990. Avec cette soirée de fête devant le Reichstag de Berlin où avaient pris place Helmut Kohl et sa femme Hannelore. Le chancelier très ému comme nous tous d’ailleurs et il me semble qu’il a pleuré.
Bien sûr, il y eut aussi toutes ces rencontres officielles à l’occasion des très nombreux sommets franco-allemands. C’était l’époque François Mitterrand. Comme correspondants, nous étions côté allemand, et qu’est-ce que nous avons pu attendre! Toujours en retard, le Président français. Cela mettait Helmut Kohl en fureur, il descendait régulièrement au rez-de-chaussée de la Chancellerie et on l’entendait pester. « Quelle grossièreté ces français, incapables d’être à l’heure ». Mais bon. C’était le Président, c’était la France. Et ce fût bien sûr une relation politique et humaine essentielle. Helmut Kohl ne pensait pas un seul instant que l’Allemagne puisse avoir un avenir sans l’Europe, sans la France, pas de « Alleingang », de chemin solitaire. Et il s’était entouré de conseillers parfaitement francophones qui souvent avaient même étudié à l’ENA.
Un dernier souvenir, presque personnel, puisque réalisé, sans mon équipe, sans caméra, ni micro.
Avec un autre confrère britannique, je fus invité à accompagner Helmut Kohl pendant une journée au cours de la campagne des premières élections de l’Allemagne réunifiée en décembre 1990.
Rendez-vous tôt à la Chancellerie à Bonn. Là on nous explique. Tout va aller très vite. Vous devez rester collés au Chancelier, sinon vous serez expulsés de son cercle de sécurité. Ça arrive parfois même à des ministres, et alors on ne les attend pas, ils rentrent en train. Helmut Kohl arrive, comment dire, physique et poigne de rugbyman ? non, ce serait en dessous de son physique de … sumo ? Et ça démarre, hélicoptère jusqu’à l’aéroport de Cologne, puis avion de la Luftwaffe. Dans son entourage, un secrétaire note tout, y compris nos consommations. Car ce déplacement est un voyage électoral et tout, avion, voiture, y compris nos invitations de journalistes, sera ensuite intégralement remboursé à l’Etat par la CDU, le parti de Kohl – C’était il y a 30 ans quand on pense que chez nous, même aujourd’hui...-.
Toute la journée faite de sauts de puce dans l’est de l’Allemagne jusqu’à Rostock, ce fût un marathon où chaque fois se reproduisaient les mêmes scènes: La porte de l’avion s’ouvre et 5, 4, 3, 2, 1, nous foncions au travers de foules enthousiastes, où tout le monde voulait serrer la main ou même seulement toucher le Chancelier de l’unité.
Dernier discours, dernier bain de foule, nous sommes dans l’avion du retour, épuisés. Kohl est assis à gauche, il occupe deux places. Il me fait asseoir à sa droite. Il se met à l’aise, tombe la veste, se met un petit gilet, retire ses chaussures, on lui apporte des saucisses et un grand verre de bière, son appétit d’ogre n’est pas une légende ! –  Il se tourne vers moi et me dit avec un grand sourire : « C’est le meilleur moment de la journée, non ? ». Et dans l’heure de retour vers Bonn, dans le ciel de l’Allemagne, je ne me souviens plus exactement ses mots, mais il me parla d’Histoire, de son enfance, de la guerre, de l’Europe.
Helmut Kohl est mort. Oui, un sacré bonhomme. Adieu Herr Bundeskanzler.

BERLIN : Le soir où le mur n’est pas tombé 7/7 : Le jour d’après : Un printemps allemand …


Par Pierre Thivolet, ancien correspondant de TF1 en Allemagne
Le jeudi 9 novembre 1989, le mur n’est donc pas tombé à Berlin. Et dans les rétros que diffusent les télés ou que publient les journaux, l’on mélange allègrement les images: Le démontage du mur, une grue qui enlève une dalle en béton, des militaires est-allemands qui ouvrent de nouvelles brèches: Tout cela n’a commencé que plusieurs jours voire plusieurs semaines après.
Si ce soir-là, le béton du mur n’est pas tombé, c’est son symbole, celui de la division de l’Europe, de la guerre froide, qui s’est écroulé. Ce qui reste impressionnant, ce sont ces milliers de personnes connues ou inconnues, et pas seulement des allemands, loin de là, qui ont eu le « réflexe Rostropovitch ». Comme le célèbre violoncelliste, tout lâcher, et prendre le premier avion, le premier train, la première voiture pour foncer vers Berlin.
Certains en ont un peu trop fait, en prétendant avoir été là, le soir où… Ce qui était matériellement impossible: Même le Chancelier Kohl, en voyage officielle en Pologne, n’est arrivé que le lendemain.
C’était d’ailleurs assez amusant de découvrir les personnalités qui se trouvaient de l’autre côté du mur quand les soldats (est-allemands) en enlevaient un morceau. Comme ce jour, où c’est la tête de Jacques Lang qui est apparue derrière un pan de béton.
Il régnait une ambiance très particulière, très euphorisante, comme si vraiment on entrait dans une nouvelle époque. Pour les premières élections générales de l’Allemagne unifiée, j’ai eu la chance d’accompagner le Chancelier Kohl, pour une journée de campagne à l’Est. Pas de caméra, nous n’étions que 2 journalistes. Rendez-vous tôt le matin, dans les jardins de la chancellerie à Bonn. Hélicoptère jusqu’à l’aéroport de Bonn-Cologne. Puis avion de la Luftwaffe jusqu’à Rostock. Dans l’avion, nos consommations étaient notées par un des assistants d’Helmut Kohl. Il était en campagne électorale, donc tous les frais, y compris les nôtres, étaient remboursés par le parti à l’Etat allemand ! Le chancelier se tourne à un moment vers nous : « On vous a expliqué ? Vous restez dans mon sillage, à pas plus d’un ou 2 mètres. » . Et un des conseillers de compléter : « sinon, vous ne pourrez suivre et vous rentrerez à Bonn par vos propres moyens. C’est déjà arrivé à plusieurs ministres ». Quand le chancelier descendit de l’avion et jusqu’au soir, ce ne fût que des foules immenses, des cohues que ce colosse traversait comme un roc dans la tempête, une ambiance de rock star. Dans le vol retour, le chancelier se lâche enfin. Il occupe deux places, bascule son siège vers l’arrière, troque son veston contre un petit gilet et se met en chaussons. On lui apporte un sandwich saucisse, et une bière. Dans un éclat de rire, il nous dit : «  Ce n’est pas le meilleur moment ? Une saucisse et une bonne bière !» Incroyable destin pour ce chancelier, arrivé au pouvoir à la faveur non pas d’une élection, mais d’un renversement d’alliances au Bundestag, et qui pendant longtemps avaient été la cible de nombreuses plaisanteries, sur son nom (Kohl = choux) sur son physique (La poire, en raison de la forme de sa tête).
pendant ces deux années, tout semblait possible: Nous pouvions nous rendre partout, et partout les gens étaient heureux de nous voir, de parler, pour la première fois depuis 45 ans à des « gens de l’Ouest ». Un vent de liberté qui a soufflé sur tout l’Europe de l’Est et pour nous journalistes, il y avait chaque fois un côté « première fois »: Traverser la Pologne jusque dans l’enclave russe de Kaliningrad, l’ancienne Königsberg, la capitale d’origine de la Prusse, dont il ne reste plus rien, totalement rasée et vidée de  sa population allemande en 1945. Seul subsiste un pan de mur de l’ancienne cathédrale devant lequel est installée la tombe du philosophe Emmanuel Kant. Et puis la Tchécoslovaquie, la révolution de velours, les rencontres avec Vaclav Havel devenu Président, et qui nous mettait en garde conte ce qu’il sentait venir un peu plus au sud: Le nationalisme, le racisme, la xénophobie, et voilà que la Yougoslavie éclate et s’enfonce dans une guerre civile d’une cruauté inimaginable. Au cœur de l’Europe, le retour de la barbarie…
La question de l’unité allemande a été réglée en quelques semaines. Mais là encore c’est la population qui a bousculé les politiques.
Le 19 décembre 1989, le chancelier Kohl effectue sa première visite à Dresde. Nous étions à ses côtés. Au milieu des ruines de l’Eglise Notre-Dame, nous l’avons vu changé, surpris et bouleversé par la foule qui agitait des drapeaux ouest-allemands, par ces cris qui de « Wir sind das Volk »« Nous sommes le peuple» étaient  devenus « Nous sommes un peuple », et puis bien sûr : « Nous voulons le deutschmark ». Helmut Kohl était resté prudent jusque là sur les étapes d’une réunification qu’il n’avait ni provoquée ni organisée, à Dresde, il a été convaincu. Il lui restait à convaincre les allemands de l’Ouest. Ce qui n’était pas si simple: Car remettre à niveau la situation de 15 millions d’allemands de l’est allait coûter très cher : 2000 milliards d’euros, soit 4 à 5% du PIB annuel allemand pendant vingt ans. Encore aujourd’hui, les critiques que l’on entend sur l’égoïsme des allemands, en exaspèrent beaucoup qui se sont serrés la ceinture depuis 25 ans, comme jamais nous ne l’avons fait en France. 
Les allemands ne parlent d’ailleurs pas de « réunification » mais « d’unité allemande ». Berlin comme capitale n’a pas été une décision unanime. Seulement 18 voix de majorité  sur 658 députés lors du vote de 1991. Les bavarois refusaient Berlin capitale. Cela allait coûter trop cher. Et puis Berlin leur paraissait être la ville de tous les vices, la seule ville d’Allemagne où il n’y a pas de «Polizeisperrstunde», d’« heure de fermeture de la police », c’est-à-dire qu’on peut y faire la fête toute la nuit, un scandale pour les très conservateurs bavarois pour lesquels il faut aller se coucher tôt pour se réveiller tôt pour aller travailler !
Bonn symbolisait également la nouvelle Allemagne, démocratique, simple, modeste, sans décorum. Après la folies des grandeurs de l’empire allemand, puis des nazis, beaucoup craignaient le syndrome Paris ou Londres: Tout dans une énorme capitale métropole, écrasant le reste du pays. Alors que la force de l’Allemagne moderne réside dans sa décentralisation.
Lorsque nous avons pris la décision dés janvier 1990 de transférer le bureau de TF1 de Bonn à Berlin, nous avons été confrontés au scepticisme, voire même à l’ironie d’un certain nombre de spécialistes de l’Allemagne, en poste à l’Ambassade de France. Jamais la capitale ne quitterait BonnNous nous emballions, etc… Il faut dire que leurs interlocuteurs allemands n’y croyaient pas non plus : Joachim Bitterlich, un des conseillers d’Helmut Kohl, originaire de Sarre, ancien élève de l’ENA, faisait partie de ces sceptiques. Je me souviens lui avoir fait faire un tour de Berlin, un soir de 1990, Philharmonie, Café Einstein, Prenzlauer Berg, après lequel il a avoué : « C’est vrai qu’elle a tout d’une capitale ».
25 ans plus tard, je ne retourne pas à Berlin sans un pincement au cœur. Et toujours me revient cette chanson de Marlene Dietrich, que les berlinois aiment citer : « Ich hab noch einen Koffer in Berlin / deswegen muß ich da nächstens wieder hin ». « J’ai toujours une valise à Berlin, c’est pour cela que je dois y retourner dés que je peux »…

BERLIN : Le soir où le mur n’est pas tombé 5/7 : Ostalgie

Par Pierre Thivolet, ancien correspondant de TF1 en Allemagne
De ce pays-là, il n’y avait sans doute rien à garder, et d’ailleurs rien n’a été gardé.
25 ans plus tard quand on retourne dans toutes ces provinces de l’ancienne Allemagne de l’Est, on est estomaqué. Le gouvernement de la nouvelle Allemagne n’a pas lésiné, et l’effort financier demandé aux allemands de l’ouest a été kolossal ! Tout a été refait au top niveau: Partout des éoliennes, du solaire, des routes reconstruites avec tout au long, des centaines de kilomètres de pistes cyclables, le câble, le très haut débit, des centres de recherche, des complexes commerciaux, des usines flambant neuves. Partout les aménagements urbains ont été modernisés, les façades repeintes, les monuments restaurés ou reconstruits. En fait les plus belles régions de l’Allemagne sont là-bas et on les redécouvre. Car dans son malheur, l’Allemagne de l’Est a eu la chance d’échapper à la reconstruction sans goût des années 1960 en Allemagne de l’Ouest. 
La Saxe a elle seule vaut le voyage, avec Dresde, l’ancienne capitale, totalement détruite par les bombardements de 1945, mais qui a retrouvé à coups de milliards son skyline de « Florence «  de l’Elbe. Leipzig, depuis le Moyen-Age, une des principales villes de Foire d’Europe, qui a remis en lumière les beautés de ses vieilles rues, de ses galerie marchandes, autour de l’église St Thomas où composait un certain… Jean-Sébastien Bach ! Ou de St Nicolas, à partir de laquelle s’organisaient les fameuses « Montagsdemo », les manifs du Lundi qui à partir du mois de Septembre 1989, se sont mises à ébranler le régime communiste. Avec la complicité de l’attachée de presse de l’Ambassade de France à Berlin-Est, qui faisait passer nos caméras dans sa voiture diplomatique, nous foncions tous les Lundi soirs vers Leipzig, pour revenir avant minuit à Berlin afin de repasser à l’Ouest sans être remarqués. Il en fallait du courage pour tous ces manifestants qui ne pouvaient imaginer que la liberté viendrait si vite.
Tant de merveilles ont retrouvé leur lustre dans l’ancienne RDA: La Thuringe, avec Erfurt, Fulda, Eisenach, la forteresse de la Wartburg, où Martin Luther traduisit la Bible en allemand, et bien sûr Weimar. Weimar qui a de nouveau son charme de capitale du romantisme allemand et où l’on a plaisir à mettre ses pas dans ceux de Cranach, Goethe, Schiller, Liszt, Wagner ou Nietzche. Jusque dans les belles forêts de hêtres qui entourent la ville, mais là, c’est un autre souvenir qu’on ne peut pas ne pas voir : Buchenwald, où les arbres ont laissé la place à l’un des plus grands camps de concentration. Une plaie que l’on voit dés que l’on lève les yeux n’importe où au centre ville: Une sinistre réponse à tous ceux qui prétendent : “On ne savait pas…
Et puis il y a encore l’arrière-pays de Berlin, le Brandebourg, avec Postdam, le Versailles prussien, et le célèbre « Sans-Souci » où Frédéric II recevait Voltaire. Et puis encore entre Berlin et la mer Baltique, ces paysages merveilleux, qui font penser au « Roi des Aulnes », le roman de Michel Tournier, avec ces petits villages serrés autour de leurs églises en brique, au bord de lacs innombrables, et puis encore ces dizaines de villes, capitales d’anciens duchés ou ports de la ligue hanséatique, Schwerin, et son château, une sorte de Chambord mais sur une île,  Wismar, Stralsund, Güstrow, Greifswald. Et puis la mer Baltique qui prend parfois des couleurs vert ou bleu mers du sud…avec des îles, comme Rügen, et ses falaises de craie blanche, immortalisées par les peintures de Caspar David Friedrich, le grand peintre romantique allemand. Près de Rostock, Heiligendamm, la plus ancienne station balnéaire d’Europe, construite à la fin du XVIII ème siècle et réservée aux princes d’Allemagne et d’Europe. Des palais tout blancs, de style néo-classique face à la mer.
Nous y étions allés début 1989. L’ensemble avait été transformé en village de vacances pour syndicats et membres du parti. Tout tombait en ruine. J’y suis retourné en 2007, pour le sommet du G8, qui y était organisé (*) : « die weiße Stadt am meer », la « ville blanche, le long de la mer » avait retrouvé sa blancheur passée. L’ensemble est devenu un des fleurons d’un des plus grands groupes hôteliers allemands ; ouest-allemand, soulignent les gens du coin.  Bien souvent même si personne ne regrette vraiment l’ancienne RDA, quand on discute avec le vendeur de saucisses du petit « Imbiss » installé sur la plage, avec le réceptionniste de l’hôtel qui avait appris le russe – obligatoire- et non l’anglais, avec la marchande de souvenirs sur le port de Rostock, avec ces frères et sœurs qui se sont lancés dans un petit élevage de truites et de carpes dans un des innombrables étangs de la région, avec ce groupes de jeunes bikers faisant une pause dans le petit port de Rerik, on entend partout la même petite musique, un peu amère, un peu nostalgique: L’argent est venu de l’Ouest, avec les allemands de l’Ouest. Bataille du pot de terre est-allemand contre le pot de fer ouest-allemand. Certains ont même dû quitter leurs maisons ou leurs fermes, les anciens propriétaires faisant valoir leurs droits sur des biens perdus depuis 70 ans. Les emplois sont, toujours, encore plus nombreux à l’Ouest et 2 millions d’Est-allemands ont dû « émigrer ». En 40 ans, s’était développée une sorte de « culture est-allemande », faite de simplicité, du plaisir d’une journée en famille ou entre amis à faire des grillades dans un petit chalet au bord d’un lac où l’on se baignait à poil. « Datcha » et « Trabant » la voiture  pour y aller : Le rêve de tout berlinois de l’Est. Et puis tout le monde travaillait, toutes les femmes travaillaient. Les parents profitaient du réseau de crèches, qui même si elles étaient mal équipées, avaient le mérite d’exister. Jusqu’en 1989, le taux de natalité en Allemagne de l’Est était bien supérieur à celui de l’Ouest. En 1991, à Berlin, lorsque nous avons cherché des baby-sitters puisque à l’Ouest, il n’y avait pas ou peu de crèches ou de jardins d’enfants, les candidates berlinoises de l’Ouest nous faisaient des réflexions du genre : « Mais pourquoi avez-vous des enfants, si c’est pour les faire garder ? ». Et c’est donc Rosie une ancienne fonctionnaire des syndicats est-allemands, qui est venue garder nos enfants. A 55 ans, elle avait bien compris qu’un monde s’était écroulé et qu’il fallait maintenant qu’elle se débrouille toute seule. Et les enfants en Allemagne de l’Est, on avait l’habitude! Comme elle, c’est toute une génération qui s’est brusquement retrouvée sans repère.
Aujourd’hui encore, on sent, non pas la division de l’Allemagne, mais des différences entre les « Ossis » et les « Wessis ». On n’efface pas en 25 ans, 40 ans de communisme.
Et puis l’Allemagne est un pays de régions à l’identité très forte: L’ancienne RDA, c’était la Prusse, la Saxe, la Thuringe, le Mecklembourg. Un bavarois est sans doute culturellement plus proche d’un autrichien que d’un berlinois ou d’un saxon…Evidemment, ce n’est pas en allant passer 3 jours de reportage en Allemagne, sans parler allemand, sans connaître l’Histoire que l’on peut sentir ces nuances.
Cette ignorance de l’Allemagne explique d’ailleurs peut-être les difficultés qu’ont eues les responsables français à comprendre ce qui allait se passer après le 9 novembre 89. Comme François Mitterrand qui, un moment, avait cru possible le maintien de deux Allemagnes.
Cette ignorance explique peut-être aussi les ratages de certains médias français, dont TF1. Il y en avait qui croyaient que Berlin était située à la frontière entre les deux Allemagnes !
Décidément cette journée du 9 novembre a été celle des couacs de communication, car personne n’avait décidé ce jour-là de faire tomber le mur…
Demain : 6/7  Couacs de com’

BERLIN : Le soir où le mur n’est pas tombé 4/7 : Bananen Republik – La République des bananes

La banane, symbole de la faillite économique de la RDA
Par Pierre Thivolet, ancien correspondant de TF1 en Allemagne
« Warum, warum ist die Banane krumm ? » « Pourquoi la banane est-elle tordue ? ». 
La banane semble être chez les allemands l’objet de tous les fantasmes– allez savoir pourquoi ? – Et cette phrase est connue comme une sorte de comptine par tous les petits enfants. Peut-être parce que malgré tous les mérites du génie allemand, les bananiers n’ont pas encore pris racine sur les bords du Rhin. 
Mais dans l’ancienne RDA, les bananes étaient en plus le symbole du luxe, de l’opulence, le symbole de toutes les pénuries. 
J’ai effectué mon premier reportage en Allemagne de l’Est en 1987. Ce n’était pas une mince affaire à organiser. Il fallait négocier pendant des semaines avec une direction d’un ministère s’occupant de la presse étrangère, s’entendre sur un itinéraire, des lieux à visiter, des personnes à interviewer. Pas question de se pointer comme cela dans une rue et tendre son micro. Et puis l’on vous imposait des hôtels, toujours les plus chers évidemment, des entreprises ou des expositions  que le régime considérait être des vitrines de la réussite économique du pays. Et qu’importe si nous parlions allemand, nous étions obligatoirement accompagnés par une interprète ( je précise bien, une), souvent l’épouse d’un diplomate qui avait été en poste ( conseiller militaire ?) à Alger ou Conakry… Même si la langue de bois était de rigueur,  on apprenait au fil du voyage, que lorsqu’elle avait été en poste à l’étranger avec son mari, leurs enfants devaient rester en Allemagne de l’Est… Et c’était curieux de voir comment, à chaque fois que nous faisions une pause, elle se précipitait pour téléphoner: Compte-rendu obligatoire à ses chefs sur les activités des journalistes étrangers.
Nous en avons fait des Hôtels : Metropole, Kongress ou Palast,  ou des restaurants: Spoutnik ou Gagarine: La classe internationale, le haut de gamme, payables en devises de l’Ouest. En fait tous étaient plus miteux les uns que les autres. Les cartes des restaurants étaient partout les mêmes, avec des spécialités comme le « vol-au-vent », en français dans le texte, et le champagne est-allemand, « Rottkäppchen » » Petit chaperon rouge » qui vous rendait malade pour la soirée. 
Les complexes industriels, les « kombinat », les « VEB »  étaient terrifiants de rouille et de pollution. Le pire sans doute: Les mines de lignite à ciel ouvert, avec leurs énormes excavatrices qui avalaient des régions entières avec forêts, champs et villages, dévastant tout le sud-est du pays, autour de Cottbus, près de la frontière polonaise. Et partout ces successions d’HLM, préfabriquées en mauvais béton, ces énormes tuyaux de chauffage qui longeaient toutes les rues au-dessus des trottoirs. Et à partir du mois d’Octobre, tout le pays était recouvert d’un brouillard jaunâtre, la pollution due au lignite, ce mauvais charbon, dont la RDA était un des premiers producteurs au monde. Même Berlin-Ouest en était couvert, puisque cette pollution était une des rares choses qui pouvait franchir le mur!
Un de nos confrères français avait coutume de dire pour plaisanter : «Comment se remonter le moral après une semaine de reportage en RDA ? Foncer au dernier étage du Kadewe, le grand magasin de Berlin-Ouest ! »  Parce que c’était l’étage alimentation, avec restaurants, bars, épiceries, où l’on pouvait trouver des montagnes de saucisses, des kilos de fromages, des pyramides de fruits… Et des bananes: L’opulence du monde capitaliste !
Le soir du 9 novembre, lorsque les allemands de l’Est purent se rendre à Berlin-Ouest, ils se ruèrent sur les bananes, les ramenant chez eux par caddies entiers. A tel point qu’un peu méchamment, les allemands de l’Ouest appelèrent la République Démocratique Allemande, « Bananen Republik », un mix entre République bananière et République des bananes.
Rétrospectivement, rien d’étonnant donc que la plus forte économie des pays de l’Est n’ait pas résisté, ne serait-ce qu’une année, à l’ouverture du mur en novembre 1989. En quelques mois, toutes ces « VEB » , ces « Entreprises Propriétés du Peuple » se sont volatilisées. L’ancienne RDA s’est très vite vidée de ses forces vives, des plus qualifiés, des plus jeunes,  près de 2 millions qui sont partis travailler à l’Ouest. On n’a qu’une seule vie…
De ce pays-là, il n’y avait sans doute rien à garder, et d’ailleurs rien n’a été gardé… Et pourtant, enfermés derrière leur mur, les allemands de l’est avaient développé une culture qui leur était propre, qui privilégiait la famille, les rapports simples entre amis, puisqu’aucun épanouissement n’était possible dans la sphère publique ou professionnelle. 
Certains regrettent cette RDA-là. On parle d’ « Ost-algie »
Demain : BERLIN : Le soir où le mur n’est pas tombé : 5/7 Ostalgie

BERLIN : Le soir où le mur n’est pas tombé 2/7 : Ces fissures que personne n’avait vues…

Souvenirs de l’été 1989
Par Pierre Thivolet, ancien correspondant de TF1 en Allemagne.

Hegyeshalom. C’est là sans doute que le mur de Berlin a commencé à se fissurer. Dans ce village hongrois, à 170 kilomètres de Budapest, 70 kilomètres de Vienne, le 2 mai 1989. Lieu précis, date précise : Le gouvernement hongrois, pourtant toujours communiste, avait décidé d’y organiser une conférence de presse mettant en scène le premier démantèlement du « rideau de fer ». Avec des chefs militaires, des garde-frontières et découpage de barbelés devant les caméras. Je me souviens très bien d’une question d’un confrère, Pierre Hasky, à l’époque à « Libération » : «  Mais que ferez-vous quand des ressortissants d’autres pays de l’Est  voudrons passer à l’Ouest ? » Silence gêné des autorités.
Quelques semaines plus tard, les allemands de l’Est apportaient la réponse à cette question. S’il leur était quasi impossible de se rendre à l’Ouest, les « pays frères » étaient facilement accessibles. Chaque année, des centaines de milliers d’Est-allemands s’entassaient dans leurs« Trabant », ces caisses à savon, au moteur à deux temps, fiertés de l’industrie est-allemande, pour passer leurs vacances sur les rives du lac Balaton, la « mer »  hongroise.
La nouvelle s’est vite répandue dans toute la RDA: On peut s’enfuir par la Hongrie. D’abord quelques dizaines, que les garde-frontières hongrois ne faisaient rien pour arrêter. Puis des centaines.  Jusqu’au 19 août 1989, où un « pique-nique », organisé à la frontière par le parti autrichien paneuropéen d’Otto von Habsbourg s’est transformé en fuite à l’Ouest de milliers de « vacanciers » est-allemands.
Dans la ruée vers la liberté, ils abandonnaient tout derrière eux. Dans la bousculade, un jeune père, sa femme, sa fille, avec comme seuls bagages , un sac à dos, s’étaient retournés vers nous, une fois à l’Ouest, et dans un grand éclat de rire, nous avaient donné la plaque d’immatriculation «DDR» « République Démocratique Allemande » qu’ils avaient dévissée sur leur voiture abandonnée. Désormais, le mur de Berlin n’arrêtait plus l’hémorragie. A Berlin-Est, le gouvernement ne savait plus quoi faire. Partout des citoyens est-allemands tentaient la fuite.
 En Pologne, la première à s’affranchir du communisme. A Prague, en envahissant l’Ambassade d’Allemagne de l’Ouest. Et pendant ce temps-là, à Moscou, Gorbatchev parlait de « perestroïka » et de libertés.
J’ai retrouvé quelques souvenirs de cet été 89: Un bout de barbelés, gracieusement offert par un soldat hongrois, le 2 mai, à Hegyeshalom. Une maquette de Trabant et puis la plaque DDR de cet inconnu qui s’enfuyait vers la Liberté.
L’Allemagne de l’Est était présentée pourtant, même à l’Ouest, comme le bon élève de la classe socialiste. Elle préparait les festivités de son 40 ème anniversaire avec force défilés militaires, soldats marchant au pas de l’oie, pionniers des Jeunesses communistes agitant des drapeaux , et invités de marque, comme Mikhael Gorbatchev et les dirigeants des pays frères.
Ce devait être un triomphe pour le régime, ce fût le début de la fin pour la vieille garde communiste.
Rétrospectivement, c’est un mur bien lézardé qui s’est ouvert le 9 Novembre 1989.
Demain : 3/7 : La RDA fête son 40 ème anniversaire.

© 2025 BLOGODO

Theme by Anders NorenUp ↑