Quand on aime l’Espagne ET la Catalogne, on ne peut être que déchiré, consterné et triste par la le référendum organisé Dimanche par Barcelone.
Le résultat est connu d’avance. Ce sera Oui. Evidemment puisque ceux qui sont contre l’indépendance n’iront pas voter alors qu’ils sont sans doute majoritaires.
Et le gouvernement catalan l’a déjà annoncé : Quelque soit la participation, il proclamera l’indépendance.
Dans ce divorce, tout a mal tourné.
A Barcelone gouverne une coalition hétéroclite rassemblant : Des ultra gauches qui sont de toute façon contre tout, des dirigeants traînant pas mal de casseroles et d’affaires de corruption et qui voient dans cette fuite vers l’indépendance un moyen d’échapper à la justice, des nationalistes qui considèrent que pour rétablir la culture catalane à sa juste place, il faut forcément passer par un rééquilibrage: Imposer, comme c’est déjà le cas aujourd’hui, le catalan comme seule langue dans l’éducation, comme seule langue d’affichage dans les rues – Tous les panneaux bilingues ont été enlevées des rues de Barcelone, jusqu’à l’aéroport où l’espagnol « castillan » vient en 3 ème position derrière l’anglais.
A Madrid, malheureusement, la situation politique est la pire pour gérer cette crise: Le gouvernement de droite ne doit sa survie qu’aux divisions de l’opposition, les insoumis espagnols détestant autant le Parti socialiste que le parti conservateur. Quant à Mariano Rajoy, le Président du gouvernement, il manque de charisme, de crédibilité, son parti et lui-même étant régulièrement éclaboussés par des affaires de corruption.
Les nationalistes catalans estiment que la Catalogne a été conquise par l’Espagne. Mais historiquement l’Espagne a-t-elle jamais existé sans la Catalogne ? C’est bien l’alliance entre Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon, comte de Barcelone, qui a fondé l’Espagne moderne il y a 500 ans. L’Espagne sans la Catalogne n’existe pas. Ou alors la France sans l’Occitanie, la Bretagne, le Pays Basque, la Savoie, la Corse bien sûr. Et l’Italie ? Et la Belgique ? Et, et…
Il est dommage qu’à la Sorbonne, Emmanuel Macron ait sauté par dessus cette question dans ces propositions pour l’Europe de demain. Bien sûr la France est mal placée pour dire quoique ce soit aux espagnols: Historiquement nos initiatives ont toujours été catastrophiques: Depuis Napoléon jusqu’à la politique de neutralité du gouvernement Blum pendant la guerre civile espagnole.
Mais aider les espagnols à éviter un divorce qui casserait la vaisselle et les meubles jusqu’à Bruxelles, c’est cela l’urgence européenne. Cela permettrait de définir ce qu’est l’Union européenne: Une prison des peuples ou bien une volonté de vivre ensemble. Pourquoi devrions nous vivre ensemble alors que les espagnols n’y arriveraient pas ? A cette question, Emmanuel Macron n’a pas répondu et c’est pourtant La question qui sous-tend la construction européenne.
Qui veut m’épouser ? L’impopularité de Mariano Rajoy n’aide pas à sortir l’Espagne de l’impasse
Caramba, encore raté. Ratée la formation d’un gouvernement en Espagne. Même si les élections du 26 juin dernier ont placé le Parti Populaire en tête, et largement, il lui a manqué 6 voix au Parlement pour obtenir la majorité.Mariano Rajoy, le Président sortant du gouvernement a beau avoir fini par accepter les conditions, notamment la lutte contre la corruption, du nouveau parti centriste « Ciudadanos », il a beau avoir passé un accord avec le petit parti nationaliste des îles Canaries, c’est raté. Il faut dire que sa personnalité, très impopulaire, n’aide pas à dénouer la situation. Et, sauf intervention divine, on voit mal comment les espagnols éviteront de nouvelles élections, les 3 èmes en un an, et en plus pour Noël, rien que ça !
Les espagnols en ont plutôt marre. Désabusés, et non plus indignés.
Il y a deux ans encore, nous nous pâmions tous devant ce mouvement citoyen, cet exemple de démocratie participative, los « indignados » qui depuis la Plaza de Mayo à Madrid allaient révolutionner la démocratie, faire « bouger les lignes ». Deux élections plus tard, en Espagne on en est où ? Nul part. A force d’être sans concession avec le système, le système est bloqué. A force de croire que l’on réinventera la démocratie parce que vos parents ont été trop cons pour le faire, on fait le jeu des extrêmes et des populistes de tout bord. Et en Espagne, ils ne s’appellent pas Front national, mais partis nationalistes catalans ou basques.
En fait ce n’est pas nouveau. Et cela pendait au nez d’un système électoral à la proportionnelle qui a donné un poids de plus en plus important aux petits partis, sans lesquels pas de majorité possible à Madrid. C’est le paradoxe de la démocratie espagnole. Il y a 40 ans, elle redonnait libertés et – larges – autonomies aux provinces. Aujourd’hui c’est contre elle que se retournent les nationalistes, négociant d’élections en élections leurs soutiens au coalition gouvernementale contre toujours plus d’autonomie.
En apparence, leurs revendications sont fondées, justifiées, aussi belles que celles des « indignés ». Et aujourd’hui, au Pays basque, la police est basque, béret compris, les impôts sont prélevés par le gouvernement basque, tout est écrit en basque, de même qu’en Catalogne, tout est écrit en catalan. Les panneaux de circulation en « castillan » (en espagnol) ont été éliminés, parfois même jusqu’à l’absurde. L’argument des nationalistes est qu’il faut compenser la longue domination du « castillan », pour redonner une chance à des vieilles cultures longtemps opprimées… Mais derrière ces « Parla Catala » ou « Euskal Herria », il y a aussi undoigt, allez même plusieurs doigts d’égoïsme local. « Y’en a marre de payer pour ces paresseux d’andalouset ces fonctionnaires de Madrid » entend-on souvent à Figueras ou à Durango ; Un peu comme en Italie on entend, « Y’en marre de payer pour ces paresseux de napolitains », ou en Flandres « Y’en a marre de payer pour ces assistés de wallons ».
Or la richesse de la Catalogne ou du Pays Basque s’est construite en grande partie sur l’exploitation d’une main d’œuvre bon marché, « immigrée » du sud de l’Espagne pour venir travailler dans les usines de Barcelone ou de Bilbao. Leurs entreprises profitent aussi d’un marché de 40 millions de consommateurs espagnols.
Et puis historiquement, que serait l’Espagne moderne sans ces provinces du nord, d’où est partie la « reconquête » il y a cinq cents ans ? Les fameux rois catholiques, Isabelle et Ferdinand, n’étaient-ils pas l’alliance entre la Castille avec l’Aragon, province dont faisait partie la Catalogne. Détricoter l’Espagne serait vraiment une bien mauvaise nouvelle…
La bonne nouvelle, c’est que l’économie espagnole va bien, avec une vraie reprise et un taux de croissance à nous faire pâlir d’envie. Même sans gouvernement. Ou bien est-cegrâce à l’absence de gouvernement ?
Isabelle de Castille épouse Ferdinand, roi d’Aragon, comte de Barcelone
C’était fin 1992, à Bratislava.
Vaclav Havel, le Président de ce qui était encore la Tchéco-slovaquie effectuait sa dernière et ultime visite pour tenter d’empêcher la scission du pays.
Fin 1989, la « Révolution de velours »avait mis fin à 40 ans de dictature communiste, et l’avenir semblait radieux pour le pays qui se transforma en « République fédérale tchèque et slovaque ».
Mais, deux ans plus tard, le parti d’un ancien responsable communiste Vladimir Meciar arrive en tête des élections régionales. Certes il n’a pas la majorité des voix,mais avec 35 % des suffrages, il peut gouverner. Il décide de demander et de proclamer l’indépendance. Sans référendum, qu’il aurait sans doute perdu.
De la part de Meciar, il y a sans doute plus de calculs politiques personnels qu’une vraie revendication nationaliste: Il n’apprécie guère le changement venu de Prague, et puis ne vaut-il pas mieux être le premier à Bratislava que le second à Prague. On sait cela depuis les romains !
Vaclav Havel eut beau rappeler que ce qui séparait slovaques et tchèques était moins important que ce qui les rapprochait. Au conseil des ministres du gouvernement fédéralà Prague, chacun parlait sa langue et tout le monde se comprenait. Et il ne servit à rien de rappeler que le général Stefanik, co-fondateur de la Tchécoslovaquie était slovaque. Comme Dubcek, le héros du bref Printemps de Prague, en 1968.
Vladimir Meciar joua la carte de la dignité nationale slovaque outragée, de l’insupportable tutelle tchèque et de l’arrogance de Prague.
Ce soir-là, dans sa voiture qui le ramenait au château qui était encore la résidence officielle du Président fédéral à Bratislava, Vaclav Havel était fatigué. Son cortège venait une nouvelle fois d’être arrêté par des manifestants agressifs et violents, il avait une nouvelle fois tenté de discuter, de dialoguer, mais en vain. Remontant dans sa voiture, alors que le soir tombait, il nous dit d’une voix lasse ; « Voilà, nous allons nous séparer. C’est idiot, nous avons tellement de choses en commun. Mais que faire ? Nous n’allons pas nous battre. Le divorce se fera à l’amiable mais avec tristesse. Vous feriez mieux de vous inquiéter de ce qui va se passer en Yougoslavie. Là l’explosion risque d’être violente »
Quelques mois plus tard, le 1er janvier 1993, la Slovaquie devenait indépendante. Et pour la Yougoslavie, on sait à quel point Vaclav Havel avait vu juste.
Et aujourd’hui ? Eh ! bien contre toute prévision, la petite Slovaquie, moins riche, moins « attractive » a priori que la riche « Tchéquie » et sa belle capitale, Prague, est un modèle de réussite avec une économie florissante. Al’opposé, la Tchéquie semble stagner.
Finalement le pire ne s’est pas produit pour la Slovaquie.
Il y a beaucoup de similitudes, même si comparaison n’est pas raison, avec la situation actuelle en Catalogne. Avec notamment un courant indépendantiste qui mélange de réelles revendications culturelles avec beaucoup d’opportunisme et de calculs politiques, ainsi qu’une dose de populisme et d’égoïsme, voire même de xénophobie.
La Catalogne a déjà obtenu une très large autonomie. Depuis 30 ans pour donner une majorité aux Cortes de Madrid, il faut souvent l’appui des députés de la Catalogne et/ou du Pays Basque, qui donc à chaque fois, ont monnayé leur appui contre plus de pouvoirs autonomes.
Sur le plan linguistique par exemple, le gouvernement catalan mène ce qu’il appelle la politique « d’immersion linguistique » qui impose le catalan comme seule langue d’enseignement, cela même si vos parents ne sont pas catalans, ce qui est le cas d’un quart des habitants de Catalogne. Pour les nationalistes, il s’agit de « corriger positivement une situation historique d’inégalité face au castillan ». Un résultat qui conduit à des situations parfois absurdes où des enfants de familles originaires du reste de l’Espagne n’ont pas le droit à des cours de remise à niveau en « Castillan », ce que nous appelons nous, « l’espagnol ».
En fait se manifeste aussi parmi ces votes indépendantistes catalans ce même égoïsme que l’on retrouvechez certains italiens du nord, ou certains flamands : « Nous sommes la province la plus riche, nous ne voulons pas payer pour les autres ».
En oubliant un peu vite , que les industriels catalans, ceux qui ont leur loges de « socios » au Barça, et qui vont fumer le cigare dans des clubs aussi sélects qu’à Londres, ont été bien contents pendant des décennies d’exploiter une main d’œuvre bon marché venue d’Andalousie ou d’Estrémadure. Comment calculer ce que la richesse de la Catalogne doit au reste des espagnols ?
Et puis comment démêler la Catalogne du reste de l’Espagne, alors que l’Espagne moderne est justement née d’une reconquête venue des provinces du nord, Pays Basque, Asturies, Navarre, Aragon, et Catalogne. Ce sont les comtes de Barcelone qui sont devenus Rois d’Aragon, il y a près de 1000 ans. Et c’est bien l’alliance entre ce Royaume d’Aragon, comprenant le comté de Barcelone, avec le royaume de Castille qui a fondé l’Espagne moderne il y a 500 ans. Le symbole de cette Espagne moderne en étant ces fameux « Rois catholiques »: Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon.
Comment démêler les fils d’une culture catalane qui s’exprime aussi en castillan ? Jeter aux orties ce bilinguisme de fait, avec ces journaux comme la Vanguardia, le grand quotidiende Barcelone ? Avec ces intellectuels, ces écrivains.
Faudra-t-il que Manuel Vazquez Montalban réécrive ses romansen catalan pour donner plus de catalanité à son héros Pepe Carvalho * ? Ils sont encore nombreux, même s’ils ne sont pas les plus bruyants, à apprécier leur double culture, à apprécier le fait de partager une langue mondiale, le castillan – espagnol, et d’exprimer la crainte qu’à l’avenir la Catalogne ne s’enferme dans une« cultureta », une petite culture refermée sur elle-même.
Mais comme en Slovaquie, peut-être que le divorce catalan ne se fera pas, ou s’il se fait, qu’il ne sera pas une catastrophe. Mais ce sera quand même triste pour tous ceux qui aiment l’Espagne, avec sesdiversités, ses variantes, ses contradictions.
Et ce n’est certainement pas un bon signal pour l’Europe, dont l’un des principes avaient été justement de surmonter les petits égoïsmes nationaux pour le bien commun. La solidarité, n’est-ce pas cela qui cimente notre « vivre ensemble « ?
Nous vivons une e-poque formidable.
————————————
*Pepe Carvalho est un personnage de fiction créé par l’écrivain Manuel Vázquez Montalbán. Ancien policier, après une vie politique assez tourmentée, il devient détective privé à Barcelone. Et ses enquêtes sont ponctuées par des pauses gastronomiques, où il se mijote des recettes catalanes avec ses copains des quartiers populaires de Barcelone. Plus catalan que lui, tu meurs, et pourtant, c’est écrit et décrit en langue castillane.
Derrière moi, l’accident: Plus de journalistes que de témoins!
Nous sommes tous devenus des addicts de l’info en continu.
Autrefois – à peine hier !- nous attendions la « grand-messe », le journal de 20 h. Ou encore, la sortie en kiosque du journal Le Monde, vers 13-14 heures, à Paris. Le lendemain matin, en province.
Aujourd’hui entre les « alertes » , les fils d’actualité, les tweets, les échanges sur Facebook, c’est l’info en continu , et je veux savoir tout et tout de suite.
Alors on se branche sur une chaîne tout info, BFM, I-Télé, LCI et là… là c’est l’accident télévisuel et journalistique.
Après l’annonce il y a 3 jours de cet épouvantable accident d’avion, il n’y eut très vite rien à dire, rien à voir, puisque « la zone est inaccessible », rien à montrer « il faut respecter le deuil des familles », personne à interviewer, puisque les rares habitants des ces petits villages n’ont rien vu, rien entendu : « j’ai vu passer un avion, mais c’est plus tard quand ils l’ont annoncé à la radio que j’ai compris qu’un avion s’était écrasé derrière chez nous ».
Et les experts en boucle, et les directs « in situ », avec plus de journalistes que d’habitants sur place… Le pire, ce furent ces commentaires au moment de la visite des officiels, avec en boucle des réflexions du genre : « La chancelière Angela Merkel est à peine coiffée, on voit son émotion, elle porte la douleur de tout un peuple « etc… etc »… Heureusement que des experts nous le disent, parce que sinon, on se serait attendu à quoi ? Qu’Angela Merkel se mette à chanter une tyrolienne (elle qui d’ailleurs est du nord-est de l’Allemagne) et que Mariano Rajoy se mette à danser un flamenco (Il n’est d’ailleurs pas andalou !)?
Il ne faut pas en vouloir à ces présentatrices et présentateurs, ni à ces envoyé(e)s spéciaux(ales) qui parlent pour ne rien dire. Ils ne font que suivre les directives de leurs directions. Ils ne font que meubler les minutes interminables de ces émissions spéciales – Ces « Breaking news » qui normalement devraient être exceptionnelles, mais qui aujourd’hui sont déclenchées pour un oui ou un non. Au lieu de reprendre le fil « normal » de l’actualité, il faut en permanence faire croire que nous vivons un événement unique, historique, « C’est l’accident le plus grave depuis… ».
C’est comme cette histoire que l’on nous racontait enfant : A force de crier au loup, au loup , alors qu’il n’y a pas de loup, le jour où il y a vraiment un loup qui vous menace, plus personne ne vous croit.
A force de tout écraser et de mettre tout au même niveau, de tout déclarer « historique » et « breaking news », les medias risquent aussi d’être de moins en moins crédibles …