Le blog de Pierre M. Thivolet, journaliste

Catégorie : RDA

BERLIN, le mur : 30 ans déjà : Une fois le mur tombé tout est allé très vite.

Direct depuis la porte de Brandebourg… quelle Histoire !

Par Pierre Thivolet, ancien correspondant de TF1 en Allemagne
Tout est allé très vite. 
Une fois le mur ouvert, tout s’est enchaîné, prenant de court les dirigeants politiques de l’Est comme de l’Ouest jusqu’à la chute du régime communiste, et la réunification.
Début décembre 89, certains pensaient encore qu’il y aurait deux Etats allemands qui se rapprocheraient progressivement. Les militants des droits de l’Homme, plutôt de gauche, qui s’étaient battu contre le régime, notamment autour de pasteurs protestants à Dresde, à Berlin, croyaient que leur pays, la RDA, créerait une troisième voie entre communisme et capitalisme. 
Mais fin décembre, tout était réglé. 
En fait notre société de consommation ne fit qu’une bouchée de la société est-allemande. En caricaturant, c’est le pouvoir d’attraction des bananes – ce fruit symbolisait pour les allemands de l’Est où il était très rare, le luxe et l’opulence – qui a fait tomber le communisme. A tel point que les allemands de l’Ouest se mirent à baptiser l’Allemagne de l’Est « Bananenrepublik » un jeu de mots pas très sympa entre République bananière et République des Bananes. 
Le 19 décembre 89, quand le chancelier Helmut Kohl s’est rendu pour la première fois en RDA, à Dresde, la foule ne scandait plus Wir sind das Volk, mais Wir sind ein VolkNous sommes un seul peuple, et : Nous voulons le Deutschmark !
C’est là devant une foule immense au milieu des ruines de l’Eglise Notre-Dame qu’Helmut Kohl et ses conseillers ont réalisé qu’il n’y avait plus qu’un scénario possible : La réunification. 
Berlin-Ouest était jusque là enfermée par ce mur qui non seulement la séparait de Berlin-Est mais également du reste de son arrière pays, le Brandebourg. Le mur passait au milieu des lacs, des rivières, des forêts. Très vite au printemps nous avons pu circuler de plus en plus librement, aller passer le dimanche au bord d’un des innombrables lacs du Mecklembourg, assister à un concert un soir dans les jardins des châteaux de Postdam. Rendre visite à des amis est-allemands dans leur « datcha », un petit chalet sans eau ni électricité, au milieu des pins, qui était un des rares petits luxes de beaucoup d’allemands de l’est, leur jardin secret où ils se retrouvaient en famille ou entre amis très proches .
Au début les garde-frontières nous contrôlaient encore. A partir de l’été, c’est à peine s’ils regardaient nos passeports. 
Et puis ce sont les Audi et Mercédès qui ont remplacé les Trabant.
Et puis les magasins à l’est qui ont commencé à fermer puis à rouvrir sous les couleurs d’enseignes ouest-allemandes,
Et puis ce sont les produits est-allemands qui ont disparu d’un coup , et puis nous nous sommes aperçus que c’est un pays entier qui avait disparu. 
La Pologne, la Hongrie, même la Tchécoslovaquie qui s’est divisée, sont restés des pays. La RDA doit être le seul cas dans l’histoire récente d’un pays qui disparaît totalement. 
30 ans plus tard, je suis bluffé par la manière dont l’Allemagne de l’Est a été transformée. Partout les routes ont été reconstruites, la fibre optique, les éoliennes et le solaire, tous les bâtiments ont été restaurés ou reconstruits superbement. 
Dresde, qui était encore un champ de ruines il y a 30 ans, Weimar, Schwerin, les stations balnéaires de la côte Baltique sont devenues des villes superbes.
Et c’est chaque fois une émotion intense de revenir à Berlin. Se balader Place de Paris devant la porte de Brandebourg qui a retrouvé sa fonction de Porte alors que je l’avais connu isolée au milieu du no man’s land. Se promener le long de la Spree entre la nouvelle chancellerie et le vieil hôpital de la Charité jusqu’à l’île aux musées. A chaque fois, on se pince : Le mur passait là, et ici , et là encore. 
Se promener jusqu’à la grande synagogue de la rue Oranienburg, incendiée par les SA pendant la nuit de cristal de 1938. Un 9 novembre, quelle ironie de l’Histoire. Vergesst es nie. N’oublie jamais est-il inscrit sur la façade. Un peu plus loin toujours dans le vieux Berlin qui se situait côté est, la rue Sophie et cet immeuble laissé détruit et à la place des appartements , des plaques qui rappellent qu’ici habitait telle famille- juive- déportée en 1940, là telle autre, disparue en 1941, avec leurs noms, le nom des enfants.
Partout à Berlin on se heurte à l’Histoire, heureuse comme la chute du mur, tragique comme le nazisme, l’holocauste, la guerre. 
Quand on a partagé ces moments d’Histoire avec les berlinois, avec les allemands, il est difficile de ne pas conserver « einen Koffer in Berlin », une valise à Berlin. Comme le chantait Marlene Dietrich
« J’ai encore une valise à Berlin,
c’est pour ça que j’y retournerai bientôt.
Dans ma petite valise, il y a
toutes les nostalgies des temps passés ».
Et l’on écoute Marlene Dietrich…

Berlin, le mur, 30 ans. En attendant, la RDA fête son 40 ème anniversaire.

Et 2 semaines après ce baiser, Honecker était limogé 
 Par Pierre Thivolet, ancien correspondant de TF1 en Allemagne
Ce devait être un bel anniversaire, ce 7 octobre 1989.
Sur l’avenue « Unter den Linden » qui descend depuis la Porte de Brandebourg, les drapeaux rouges flottaient au vent. Les façades étaient habillées d’immenses affiches de propagandes, à la gloire des 40 ans de la République démocratique allemande, l’ « Etat des ouvriers et des paysans », selon l’appellation officielle 
Devant la  Neue Wache où les soldats de l’unité d’élite « Friedrich-Engels » montaient la garde, des tribunes avaient été dressées pour les principaux  dirigeants: 
Erich Honecker, l’inamovible secrétaire général du Parti Socialiste unifié d’Allemagne, le Parti communiste: Visage de cire, lèvres pincées y accueillait les dirigeants des pays frères, dont Gorbatchev , bien sûr. 
Ce devait être un bel anniversaire. Et au début tout avait bien commencé : Les troupes de « l’armée du peuple » avaient défilé dans un ordre impeccable, au pas de l’oie. Puis avait suivi le cortège des FDJ (prononcez : f-d-yot), la « Jeunesse libre allemande », qui embrigadaient tous les jeunes est-allemands. L’actuelle chancelière Angela Merkel en fût elle-même. 
Tout cela au son de l’hymne national de la RDA : « Auferstanden aus Ruinen »« Ressuscité des ruines ». Une très belle musique, composée par Hans Eissler, compagnon de route et de travail de l’écrivain Bertold Brecht. Tous les deux communistes qui avaient fui les nazis étaient rentrés à Berlin-Est après la guerre pour édifier une Allemagne socialiste, pensaient-ils..
Tout se passait bien. Jusqu’à ce que Gorbatchev décide à la surprise générale, devant les caméras qui filmaient en direct, d’être « Gorbi », l’homme de la perestroïka. 
Il sort des tribunes, va saluer les spectateurs qui se mettent à crier : « Gorbi, Gorbi : Hilf uns : Aide nous ! » et  il répond : « Celui qui est en retard est puni par l’Histoire, pour la vie.». Cette petite phrase fait l’effet d’une bombe. Tous les allemands de l’est vont se la répéter. Honecker est fou furieux. Le désaveu soviétique équivaut à un limogeage, et , de fait, ce sera le cas dans les semaines qui suivent. 
Le soir, gala officiel au « Palast der Republik ». Mais sous les fenêtres du siège du gouvernement, des petits groupes de manifestants se sont formés. Et ils scandent les slogans repris depuis quelques semaines: « Wir sind das Volk » « Nous sommes le peuple » et :« Die Mauer muss weg » « Le mur doit tomber ». La Stasi et ses gros bras en civil répriment violemment les manifestants, hurlements, gaz lacrymogènes, explosions ; C’est la première fois qu’une telle manifestation se déroule en plein cœur de Berlin. 
Aujourd’hui, le « Palast der Republik » a été détruit. Difficilement : Il était contaminé à l’amiante. 
Et puis l’ancien château des rois de Prusse sur lequel il avait été bâti, a été reconstruit. Après des années d’hésitations, et avec appel aux dons. Ce château redonne au centre de Berlin de la cohérence. Il a été refait à l’identique. Enfin, presque : Les allemands ne voulaient pas que ce soit un château à la Disney, Berlin ne voulait pas que soit gommée l’Histoire. 
Vergangenheitsbewältigung. La confrontation avec l’Histoire : Cela reste quand même le maître mot de l’éducation et de la politique en Allemagne.
Et l’on écoute quelques notes de l’ancien hymne est-allemand. 

Berlin, le mur : 30 ans déjà. En Hongrie, une brèche dans le rideau de fer.

Souvenirs de la fuite vers l’ouest  
En fait quand on y repense c’est en Hongrie que le mur de Berlin a commencé à se fissurer. 
A Hegyeshalom exactement. 
Franchement ce gros village ne vaut pas le détour, si ce n’est que c’est le point de passage entre la Hongrie, et pratiquement se touchant l’Autriche et la Slovaquie. Et que c’est là que le 2 mai 1989, le gouvernement hongrois- pourtant à l’époque toujours communiste – avait décidé de mettre en scène le premier démantèlement du « rideau de fer ». Gros plan sur des militaires découpant les barbelés devant nos caméras avec des pinces monseigneur !
Je me souviens très bien d’une question d’un confrère, Pierre Haski : « Mais que ferez-vous quand des ressortissants d’autres pays de l’Est  voudront passer à l’Ouest ? » Silence gêné des autorités. 
Quelques semaines plus tard, les allemands de l’Est répondaient à cette question : La nouvelle s’était répandue dans toute la RDA : On peut s’enfuir par la Hongrie. Car il était possible aux allemands de l’est de voyager librement dans ce pays-frère. 
D’abord, des dizaines, puis des centaines tentèrent le coup, passant de la Hongrie à l’Autriche, donc à l’Ouest, sans être empêchés par les garde-frontières. 
Jusqu’au 19 août 1989, où un « pique-nique », organisé à la frontière par le parti autrichien paneuropéen d’Otto von Habsbourg s’est transformé en fuite à l’Ouest de milliers de « vacanciers » est-allemands. 
Dans la ruée vers la liberté, ils abandonnaient tout derrière eux. Dans la bousculade, un jeune père, sa femme, sa fille, avec comme seuls bagages, un sac à dos, s’étaient retournés vers nous, une fois à l’Ouest, et dans un grand éclat de rire, nous avaient donné la plaque d’immatriculation « DDR » « République Démocratique Allemande » qu’ils avaient dévissée sur leur Trabant, leur voiture abandonnée. Une plaque que j’ai conservée jusqu’à aujourd’hui.
A Berlin-Est, le gouvernement ne savait plus quoi faire. 
Aujourd’hui, en Hongrie, on réinstalle des barbelés, au sud à la frontière avec la Hongrie, par peur d’une invasion de migrants. 
Et l’on écoute Udo Lindenberg, le chanteur ouest-allemand qui s’était rendu très populaire à l’époque, avec cette chanson plutôt humoristique : « Sonderzug nach Pankow »… « Train spécial pour Pankow »,  la résidence du dirigeant communiste Erich Honecker, au nord de Berlin.

Avec Kurt Masur à Leipzig à l’automne 1989

Montagsdemo à Leipzig  9octobre 1989
Ce n’était pas venu d’un coup… L’effondrement de l’Allemagne de l’Est, de l’ancienne République Démocratique Allemande.
Il est facile après coup de mettre en avant les faiblesses du pays et de son régime. Mais à l’époque, la RDA était présentée comme l’élève modèle du camp socialiste, celui dont l’économie avait le mieux réussi. En tant que  journaliste, correspondant de TF1 en Allemagne, nous n’en avions qu’une connaissance très partielle, au gré de reportages effectués toujours sous strict contrôle. Il fallait envoyer au Ministère de l’Information une liste très précise de sujets, de lieux de tournages, d’interlocuteurs souhaités. Il fallait jouer avec ce que l’on savait des interdits, des tolérés. Et l’on nous imposait des visites de grands « Kombinat » industriels, qui nous épouvantaient avec leurs kilomètres de tuyaux et de machines rouillées, pourtant fiertés du régime. Epouvantables aussi ces mines de lignite à ciel ouvert, qui engloutissaient forêts et villages dans la région de Bitterfeld ou de Guben, déprimants ces « Palaces » que l’on nous imposait, payables en monnaie de l’Ouest évidemment, et très chers, mais qui n’étaient le plus souvent que des blocs de béton, surchauffés en hiver et où le vent soufflant à travers les portes et fenêtres mal isolées, soulevait les rideaux pratiquement à l’horizontal. Peu ou pas de contacts avec la population. L’opposition ? Quelle opposition ? Nous n’avions accès qu’à des interlocuteurs « officiels » triés sur le volet, et de manière exceptionnelle, à quelques personnalités, qui en raison de leur réputation internationale, servaient indirectement de caution au régime. Ils se gardaient bien d’ailleurs d’être trop ouvertement critiques et leurs interviews étaient décevantes, comme celles avec l’écrivain Stefan Heym, qui avait fait la seconde guerre mondiale dans l’armée américaine, mais qui avait choisi par adhésion au communisme de s’installer à Berlin-Est. Ou encore avec Kurt Masur, qui jusqu’à l’automne 1989, n’était pas considéré comme critique à l’égard du régime. C’était une personnalité difficilement joignable , qui partageait sa vie entre son « bébé », la nouvelle salle de concert du « GewandtHaus » de Leipzig et Paris, New York, Salzbourg.
C’est dans sa ville de Leipzig justement que nous avions pu, pour la première fois, rencontrer une autre Allemagne de l’Est. A l’occasion des foires de Leipzig, le gouvernement octroyait des visas de quelques jours afin que la presse étrangère puisse faire des reportages sur cette vitrine des performances économiques des pays de l’Est. Quelques jours de relative liberté où nous n’étions pas encadrés par des « interprètes », et où entre deux visites de stands de machines-outils nous pouvions aller nous balader dans les rues de la vieille ville. Jusqu’à ce Lundi 4 Septembre 1989, où nous avions pu assister avec surprise à un bien curieux office dans l’Eglise Saint-Nicolas. A partir de 18 heures, les lectures pastorales laissèrent la place à des appels à la Paix, à la non violence, à la liberté. Pas d’attaques directes, mais dans cette église portes ouvertes où l’on entrait et sortait, il se passait quelque chose. Il fallait être prudent, la Stasi, la police politique, était là en civil, à qui faire confiance ?
Alors tous les Lundi, nous sommes revenus, « clandestinement ». Depuis Berlin-Est, où nous étions supposés passer la journée, nous foncions pour nous retrouver dans l’Eglise Saint-Nicolas, avec des caméscopes, à 18 h00. Nous repartions dans la soirée, pour retourner à tout allure sur Berlin et repasser le « check point Charlie » avant minuit…
Et de Lundi en Lundi, ces « Montagsgebete », ces « prières du Lundi », ce sont transformées en « Montgsdemo », en « manifs du Lundi », de plus en plus importantes, et de plus en plus dangereuses. Difficile en effet de distinguer entre le vrai manifestant et le provocateur en civil de la police, qui infiltré dans la foule, pouvait vous frapper par derrière, ou vous éloigner de quelques mètres afin de vous arrêter plus facilement.
Au début, les manifestants ne faisaient que le tour de l’Eglise, puis le tour du quartier, jusqu’au Lundi 9 octobre où là vraiment il y avait plusieurs dizaines de milliers de personnes, avec ces slogan « Keine Gewalt » »pas de violences » Et déjà :« Liberté de voyager » « Ouvrez le mur ». Montés au sommet d’un immeuble, nous avions pu voir la foule qui avait envahi le centre ville avant de sortir en cortège sur les boulevards devant la salle de concert du GewandtHaus. Et là, comme sorti d’un autre monde, apparut un colosse barbu «  C’est Kurt Masur, dit la foule ». Il marchait calmement au devant des banderoles, avec à son bras son épouse la soprane japonaise, Tomoko Sakurai.
Pas d’interview avec lui, pas de déclarations de sa part, mais sa seule présence était en soi une surprise, lui qui n’était pas connu jusque là pour être critique du régime.
De Lundi en Lundi, l’Allemagne communiste se mit à craquer, jusqu’à ce jeudi de novembre où le mur à Berlin finit par être ouvert. Kurt Masur fit partie de ces personnalités qui évitèrent sans doute le bain de sang.
25 ans plus tard, Leipzig est métamorphosée. La ville grise, étouffant dans le brouillard jaunâtre de lignite est devenue une belle ville, rénovée, dynamique. Le Gewandthaus, l’Eglise Saint-Nicolas, la chorale de l’Eglise Saint-Thomas où composa un certain Jean-Sébastien Bach, attirent les foules de touristes. Il y a de nouveau des « Montagsdemo » mais elles ne réclament plus l’ouverture des frontières, mais au contraire, organisées par Pegida, comme dans la ville voisine de Dresde, leur fermeture et l’expulsion des étrangers. Exactement l’inverse de ce que réclamaient  les manifestants autour de Kurt Masur ce Lundi 9 octobre 1989, à Leipzig.

Nous vivons une e-poque formidable

BERLIN : Le soir où le mur n’est pas tombé 4/7 : Bananen Republik – La République des bananes

La banane, symbole de la faillite économique de la RDA
Par Pierre Thivolet, ancien correspondant de TF1 en Allemagne
« Warum, warum ist die Banane krumm ? » « Pourquoi la banane est-elle tordue ? ». 
La banane semble être chez les allemands l’objet de tous les fantasmes– allez savoir pourquoi ? – Et cette phrase est connue comme une sorte de comptine par tous les petits enfants. Peut-être parce que malgré tous les mérites du génie allemand, les bananiers n’ont pas encore pris racine sur les bords du Rhin. 
Mais dans l’ancienne RDA, les bananes étaient en plus le symbole du luxe, de l’opulence, le symbole de toutes les pénuries. 
J’ai effectué mon premier reportage en Allemagne de l’Est en 1987. Ce n’était pas une mince affaire à organiser. Il fallait négocier pendant des semaines avec une direction d’un ministère s’occupant de la presse étrangère, s’entendre sur un itinéraire, des lieux à visiter, des personnes à interviewer. Pas question de se pointer comme cela dans une rue et tendre son micro. Et puis l’on vous imposait des hôtels, toujours les plus chers évidemment, des entreprises ou des expositions  que le régime considérait être des vitrines de la réussite économique du pays. Et qu’importe si nous parlions allemand, nous étions obligatoirement accompagnés par une interprète ( je précise bien, une), souvent l’épouse d’un diplomate qui avait été en poste ( conseiller militaire ?) à Alger ou Conakry… Même si la langue de bois était de rigueur,  on apprenait au fil du voyage, que lorsqu’elle avait été en poste à l’étranger avec son mari, leurs enfants devaient rester en Allemagne de l’Est… Et c’était curieux de voir comment, à chaque fois que nous faisions une pause, elle se précipitait pour téléphoner: Compte-rendu obligatoire à ses chefs sur les activités des journalistes étrangers.
Nous en avons fait des Hôtels : Metropole, Kongress ou Palast,  ou des restaurants: Spoutnik ou Gagarine: La classe internationale, le haut de gamme, payables en devises de l’Ouest. En fait tous étaient plus miteux les uns que les autres. Les cartes des restaurants étaient partout les mêmes, avec des spécialités comme le « vol-au-vent », en français dans le texte, et le champagne est-allemand, « Rottkäppchen » » Petit chaperon rouge » qui vous rendait malade pour la soirée. 
Les complexes industriels, les « kombinat », les « VEB »  étaient terrifiants de rouille et de pollution. Le pire sans doute: Les mines de lignite à ciel ouvert, avec leurs énormes excavatrices qui avalaient des régions entières avec forêts, champs et villages, dévastant tout le sud-est du pays, autour de Cottbus, près de la frontière polonaise. Et partout ces successions d’HLM, préfabriquées en mauvais béton, ces énormes tuyaux de chauffage qui longeaient toutes les rues au-dessus des trottoirs. Et à partir du mois d’Octobre, tout le pays était recouvert d’un brouillard jaunâtre, la pollution due au lignite, ce mauvais charbon, dont la RDA était un des premiers producteurs au monde. Même Berlin-Ouest en était couvert, puisque cette pollution était une des rares choses qui pouvait franchir le mur!
Un de nos confrères français avait coutume de dire pour plaisanter : «Comment se remonter le moral après une semaine de reportage en RDA ? Foncer au dernier étage du Kadewe, le grand magasin de Berlin-Ouest ! »  Parce que c’était l’étage alimentation, avec restaurants, bars, épiceries, où l’on pouvait trouver des montagnes de saucisses, des kilos de fromages, des pyramides de fruits… Et des bananes: L’opulence du monde capitaliste !
Le soir du 9 novembre, lorsque les allemands de l’Est purent se rendre à Berlin-Ouest, ils se ruèrent sur les bananes, les ramenant chez eux par caddies entiers. A tel point qu’un peu méchamment, les allemands de l’Ouest appelèrent la République Démocratique Allemande, « Bananen Republik », un mix entre République bananière et République des bananes.
Rétrospectivement, rien d’étonnant donc que la plus forte économie des pays de l’Est n’ait pas résisté, ne serait-ce qu’une année, à l’ouverture du mur en novembre 1989. En quelques mois, toutes ces « VEB » , ces « Entreprises Propriétés du Peuple » se sont volatilisées. L’ancienne RDA s’est très vite vidée de ses forces vives, des plus qualifiés, des plus jeunes,  près de 2 millions qui sont partis travailler à l’Ouest. On n’a qu’une seule vie…
De ce pays-là, il n’y avait sans doute rien à garder, et d’ailleurs rien n’a été gardé… Et pourtant, enfermés derrière leur mur, les allemands de l’est avaient développé une culture qui leur était propre, qui privilégiait la famille, les rapports simples entre amis, puisqu’aucun épanouissement n’était possible dans la sphère publique ou professionnelle. 
Certains regrettent cette RDA-là. On parle d’ « Ost-algie »
Demain : BERLIN : Le soir où le mur n’est pas tombé : 5/7 Ostalgie

BERLIN : Le soir où le mur n’est pas tombé 2/7 : Ces fissures que personne n’avait vues…

Souvenirs de l’été 1989
Par Pierre Thivolet, ancien correspondant de TF1 en Allemagne.

Hegyeshalom. C’est là sans doute que le mur de Berlin a commencé à se fissurer. Dans ce village hongrois, à 170 kilomètres de Budapest, 70 kilomètres de Vienne, le 2 mai 1989. Lieu précis, date précise : Le gouvernement hongrois, pourtant toujours communiste, avait décidé d’y organiser une conférence de presse mettant en scène le premier démantèlement du « rideau de fer ». Avec des chefs militaires, des garde-frontières et découpage de barbelés devant les caméras. Je me souviens très bien d’une question d’un confrère, Pierre Hasky, à l’époque à « Libération » : «  Mais que ferez-vous quand des ressortissants d’autres pays de l’Est  voudrons passer à l’Ouest ? » Silence gêné des autorités.
Quelques semaines plus tard, les allemands de l’Est apportaient la réponse à cette question. S’il leur était quasi impossible de se rendre à l’Ouest, les « pays frères » étaient facilement accessibles. Chaque année, des centaines de milliers d’Est-allemands s’entassaient dans leurs« Trabant », ces caisses à savon, au moteur à deux temps, fiertés de l’industrie est-allemande, pour passer leurs vacances sur les rives du lac Balaton, la « mer »  hongroise.
La nouvelle s’est vite répandue dans toute la RDA: On peut s’enfuir par la Hongrie. D’abord quelques dizaines, que les garde-frontières hongrois ne faisaient rien pour arrêter. Puis des centaines.  Jusqu’au 19 août 1989, où un « pique-nique », organisé à la frontière par le parti autrichien paneuropéen d’Otto von Habsbourg s’est transformé en fuite à l’Ouest de milliers de « vacanciers » est-allemands.
Dans la ruée vers la liberté, ils abandonnaient tout derrière eux. Dans la bousculade, un jeune père, sa femme, sa fille, avec comme seuls bagages , un sac à dos, s’étaient retournés vers nous, une fois à l’Ouest, et dans un grand éclat de rire, nous avaient donné la plaque d’immatriculation «DDR» « République Démocratique Allemande » qu’ils avaient dévissée sur leur voiture abandonnée. Désormais, le mur de Berlin n’arrêtait plus l’hémorragie. A Berlin-Est, le gouvernement ne savait plus quoi faire. Partout des citoyens est-allemands tentaient la fuite.
 En Pologne, la première à s’affranchir du communisme. A Prague, en envahissant l’Ambassade d’Allemagne de l’Ouest. Et pendant ce temps-là, à Moscou, Gorbatchev parlait de « perestroïka » et de libertés.
J’ai retrouvé quelques souvenirs de cet été 89: Un bout de barbelés, gracieusement offert par un soldat hongrois, le 2 mai, à Hegyeshalom. Une maquette de Trabant et puis la plaque DDR de cet inconnu qui s’enfuyait vers la Liberté.
L’Allemagne de l’Est était présentée pourtant, même à l’Ouest, comme le bon élève de la classe socialiste. Elle préparait les festivités de son 40 ème anniversaire avec force défilés militaires, soldats marchant au pas de l’oie, pionniers des Jeunesses communistes agitant des drapeaux , et invités de marque, comme Mikhael Gorbatchev et les dirigeants des pays frères.
Ce devait être un triomphe pour le régime, ce fût le début de la fin pour la vieille garde communiste.
Rétrospectivement, c’est un mur bien lézardé qui s’est ouvert le 9 Novembre 1989.
Demain : 3/7 : La RDA fête son 40 ème anniversaire.

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