Le blog de Pierre M. Thivolet, journaliste

Catégorie : rap

Parent 1, parent 2: C’est la deb et j’men bats les c…

Peut-on combattre le machisme par de simples lois sociétales ?
« Salut mec ! dis moi tu viens d’où ?
D’une autre tess, Abdel prends lui tout
Et je m’en bats les couilles 
C’est la deb, negro c’est la deb »
Il a 16 ans, il s’appelle ( nom de scène) Brvmsoo, et c’est la nouvelle révélation du rap de Nanterre, cité Picasso. 16 ans…
A 15 ans, Rimbaud Arthur écrivait : 
La chambre est pleine d’ombre ; on entend vaguement
De deux enfants le triste et doux chuchotement.
C’était juste avant de fuir Charleville-Mézières qui était une sorte de Cité Picasso-Nanterre de l’époque. 
Ceci dit, ce n’est pas parce qu’on vient de cité qu’on est un Rimbaud qu’on assassine. 
Rimbaud aurait sans doute pu écrire « j’men bats les couilles », lui qui écrivit le « Sonnet du trou du cul «  (Eh !oui ) : 
Obscur et froncé comme un oeillet violet
Il respire, humblement tapi parmi la mousse
Humide encor d’amour qui suit la fuite douce
Des Fesses blanches jusqu’au coeur de son ourlet.
N’empêche que cette obsession des « couilles qu’on bat » et autre « suce ma bite » chez les rappeurs d’aujourd’hui, « interpelle » à l’heure où les députés, pour tenir compte de l’évolution des couples, viennent de modifier la dénomination des parents dans les actes administratifs. Finis Père et Mère, changés pour Parent 1 et Parent 2.
Quand on lit les textes de ce jeune poète de la rue de Nanterre qui est au diapason de tant de rappeurs : Frérot , poto , gros , negro , je m’en bats les couilles. 

Et qui pourrait ajouter : La DGF, je m’en bats les couilles. Le RIC, j’m’en bats les couilles. Le grand débat national , je m’en bats les couilles. Les gilets jaunes , sapés comme jamais, je m’en bats les couilles. 

On se dit, que ce n’est pas un fossé mais un précipice qui sépare la jeunesse d’aujourd’hui des quadras des manifs du samedi, et qu’on ne change pas une société par décrets, ni une éducation machiste et phallocrate par des lois. Alors que nous gargarisons avec des « avancées sociétales » qui devraient assurer la parité, l’égalité femme-homme, le respect des femmes, la tolérance à l’égard des différences, beaucoup de jeunes vivent dans un monde de machos, où on est entre mecs à se comparer la taille des muscles en salle de muscu et à fantasmer sur les femmes dont on parle comme des taspé, des pétasses, toutes, sauf ma mère et mes sœurs.
La morale de cette histoire : C’est comme pour les préjugés, le racisme, l’antisémitisme, le complotisme, pour que les mecs arrêtent de tabasser leurs meufs, et qu’on arrête de tager Juden sur les vitrines de Bagelstein, il reste encore beaucoup à faire en matière d’éducation…Et tout se joue avant 16 ans!
Même problème, même combat.

Booba- Kaaris : Et pourquoi pas organiser le combat de qui pisse le plus loin ?

Et quand on pense que tout cela leur rapportera encore plus de fric !
Dans une période où tout n’est qu’amour entre nous – on l’a bien vu ces derniers jours, entre policiers et manifestants, sur tous les ronds-points de toutes les routes de France, jusqu’aux Champs-Elysées – les nouvelles péripéties du clash Booba-Kaaris sont une preuve que l’esprit de Noël souffle sur notre pays. 
Ainsi la dernière idée lancée par le Duc de Boulogne ( Elie Yaffa, alias Booba) : un combat de boxe pour régler son contentieux avec son ex poto ( pote, ami) Kaaris.  On ne se défonce plus la gueule à coups de bouteilles ou de flacons de parfum, on se défie sur un ring. Les parieurs sont déjà sur les rangs. 
Moi je trouve ça un peu inconvenant : On pense à Mohammed Ali… The « greatest » doit se retourner dans sa tombe. Car la boxe c’est le « noble art », une discipline qui fait partie de tous ces sports qui ont été codifiés par les anglais, dans le but de canaliser les montées d’hormones de leurs adolescents enfermés dans des collèges de garçons. 
Comme le rugby, un « sport de voyous joué par des gentlemen ». 
Ou le cricket. Un « sport »( ?) qui fait courir des ados, aux quatre coins de l’ancien empire britannique, dans les bidonvilles en Inde, sur les plages des petites îles des Antilles, alors qu’honnêtement pour en comprendre les règles, il faut vraiment être anglais, manger du rôti de porc avec de la sauce à la menthe suivi d’une jelly en dessert tout en conduisant à gauche. 
Mais revenons à nos moutons, à nos rappeurs, gonflés aux anabolisants 
Plutôt qu’un combat de boxe, ne devrait-on pas préférer le concours de celui qui a la plus grosse (bite…) . Ou encore de celui qui pissera le plus loin. 
C’est ce que font les gosses dans les cours de récré. Et cela correspond bien au niveau de leurs échanges qui font plus de buzz sur les réseaux sociaux que les pétitions de n’importe quelles campagnes pour sauver la planète.  
Cela serait bien dans l’air du temps, On insulte, on clash, on fake… 

Moi quand je serai grand, je voudrais être rappeur millionnaire.

A quand une punchline de Booba ou Kaaris au sujet de la justice qui a condamné Raef Badaoui à 1000 coups de fouet ou Oleg Sentsov à 30 ans de prison .
Trop fort ce Booba ! Vous avez vu sa dernière punchline depuis la prison où il était en détention provisoire : « moi quand je serai grand, je voudrais être Benalla ou moine pédophile ». 
Et toc, la France, prend ça dans les gencives. 
Une provocation bien sûr, un peu comme le « Hara-kiri » d’autrefois qui au moment de la mort de De Gaulle et d’un incendie meurtrier dans une discothèque, avait titré : « Bal tragique à Colombey : 1 mort », ce qui avait valu à l’hebdomadaire satirique d’être interdit.
Aujourd’hui Booba ne risque aucune interdiction, seulement peut-être se mettre les juges à dos. Et encore ce n’est même pas sûr ! 
S’il est condamné, il nous la jouera : je suis d’un peuple qui a beaucoup souffert. Et il aura avec lui tous ceux très nombreux qui trouveront excessif une condamnation pour une « bagarre un peu virile » (Entendu à la télé dans la bouche d’un « expert » du rap).
S’il n’est pas condamné, les juges auront contre eux, tous ceux et ils sont également très nombreux, qui diront : « Bel exemple du laxisme de notre justice alors qu’un honnête bijoutier qui défend sa boutique, est condamné à une peine de prison pour avoir tué son voleur ». 
Une provocation gratuite donc, mais qui lui rapporte déjà gros. Comme pour Kaaris, ses ventes de vêtements augmentent en flèche, comme les écoutes de ses titres. Leurs admirateurs adorent et approuvent. 
Ils approuvent ce que Booba sous-entend avec son scud de 12 mots, qui télescope des thèmes d’actu qui n’ont rien à voir les uns avec les autres. Ce qu’il sous-entend, c’est : la société française discrimine les non-chrétiens, et la justice française est pourrie.
Si l’on creuse la provoc’, c’est très nul. Surtout venant d’un Booba, « Duc de Boulogne », qui réside apparemment aux Etats-Unis où en revanche, la justice est … géniale ?
Là-bas, un jeune noir qui sort les poubelles peut être descendu par un blanc parano. Comprenez-moi votre honneur, je me suis cru menacé ! Et hop, acquitté ! 
Là-bas, un policier, blanc, peut descendre un noir suspect, suspect parce que noir. Il résistait, votre Honneur, et hop ! pas de poursuite ! 
Formidable ce pays, où quand t’es millionnaire tu te paies les meilleurs avocats et c’est même plus toi qui est accusé, mais les victimes qui t’accusaient. Balance ton Weinstein ! 
Alors, moi quand je serai grand, je ne serais pas blogueur saoudien comme Raef Badaoui condamné à 10 ans de prison et 1000 coups de fouet.
Je ne serais pas cinéaste ukrainien, comme Oleg Sentsov condamné à 30 ans de prison et au 103 ème jour de grève de la faim.
Moi quand je serai grand, je voudrais être rappeur et millionnaire, ou alors producteur de cinéma et millionnaire, ou alors Président et millionnaire. Et aux Etats-Unis.

Qu’est-ce que, ce que nous disons sur Johnny, dit sur nous.

De Johnny à Booba: Une simple question de générations ? 
C’est une conversation saisie au vol dans un supermarché, entre le rayon fromages et celui des yaourts à l’heure où se déroulait l’hommage à Johnny.
L’une : Quand je pense que je suis obligée de faire le réassortiment. Je préfèrerais être à la Madeleine.
L’autre : Et tu y aurais fait quoi ? Il est dans un cercueil.
Un troisième : Et tu aurais rien vu, c’est blindé de monde.
La première (vraiment fâchée) : C’est mon idole. J’ai vieilli avec lui.
L’autre : Moi je préfère Sardou.
Un autre : Pfuiittt, moi j’écoute pas ça, je préfère le hip hop. Et Booba
Toute la France rendait hommage à Johnny. Les scènes à la télé étaient impressionnantes. Des centaines de milliers, un million de personnes. L’hommage était plutôt bien. Pas de couacs. De vraies émotions, une belle cérémonie. Le Président a joué son rôle, discours à l’extérieur de l’église, pas de signe de croix avec l’eau bénite. Ses gestes étaient scrutés, la laïcité a été respectée.
Toute la France donc, était là. Même ceux qui n’auraient pas voulu. Parce qu’il était difficile d’y échapper. Tous les media diffusaient en direct la cérémonie, et en boucle des spéciales, des rétros, des témoignages. A moins d’être en voyage au fin fond du Rajahstan ( par exemple, mais on pouvait simplement aller en Allemagne ou en Espagne) , difficile d’échapper à Johnny. De résister à la tentation de cliquer sur un exclusif, sur les 5 choses que vous ignorez sur Johnny, sur « Et pourquoi il a choisi Saint-Barthélémy ? ».
Tiens voilà une décision qui divise.
D’un côté les fans qui auraient aimé pouvoir aller en pèlerinage sur sa tombe comme pour Dalida, Jim Morrison ou Claude François. Et Saint-Barthélémy, ça fait nettement plus cher que Dannemois dans le 91. De l’autre, il y a ceux qui trouvent ça très bien, c’est « comme Brel, enterré aux Marquises ». Ceux-là apparemment ne connaissent ni les Marquises, ni Saint-Barth, le seul point commun entre les deux, étant d’être des îles. Mais l’une naturelle et authentique et l’autre bétonnée et jet-setisée.
Toute la France était donc là . Sauf celle qui sur Deezer, Instagram, snapchat ou Booska se rue sur le dernier album de Booba, disque d’or en une semaine grâce au téléchargement.
Booba dont on vante le « flow » et les punchlines qui ne cessent de mettre sur un « Trône » un machisme bodybuildé, mysogine et homophobe.
De « J’mets la capote sur ma bite et sur ma Lamborghini » à
« J’vais bien t’baiser et t’auras pas à lâcher une thune
T’es témoin d’un mariage gay entre une Kalash’ et une plume
T’en as deux, une dans la bouche et l’autre dans le croissant de lune 
».
On est loin de Oh ! Marie…
On est loin de Johnny. Comme si ce n’était pas le même siècle, la même France.
Ces derniers jours, la France du XXI ème siècle semblait absente de ces moments d’émotion nationale. Comme elle l’était aussi en partie dans les manifestations après les attentats il y a deux ans.

PNL : Des Tarterêts à Miami Beach

PNL: En mode racaille mais fashion

Grâce à l’électronique, aux synthés, au numérique, n’importe qui peut, sans beaucoup de moyens, répéter et s’enregistrer au fond de sa chambre. On sample, on mixe, on vocode, on autotune, et, encore plus fort, d’un clic, on met en ligne, on diffuse sur la toile.
Comme les deux frères de PNL. PNL, la dernière coqueluche du rap français, tendance cloudrap, Ils font le buzz car ils sont l’illustration de la révolution de l’alliance entre le digital ( le numérique) et le net (la toile ). On peut être comme eux des Tarterêts à Corbeil-Essonnes et devenir planétaire. C’est génial. L’industrie traditionnelle de la musique est bousculée, les cartes des circuits de production et de distribution sont rebattues, et les revenus suivent, ou en tout cas, peuvent suivre. Car on ne vend plus de la musique, une chanson, un « opus «, on télécharge, on écoute en « streaming », et on vend un mix : De la pub, une marque, une tendance, un look.
PNL s’est fait remarquer avec QLF, « Que La Famille ».
Ce titre annonce qu’ils nous excluent, qu’ils n’en ont rien à foutre des autres en dehors de ceux qui vivent dans leur cité, la « famille »  Ils boudent les promos traditionnelles, on ne les a vu ni chez Ruquier ni chez Drucker, mais peut-être feront-ils Yann Barthes? Et pourtant ils battent des records de téléchargement, ils ont fait même plus fort que les stars américaines, les poids lourds comme Beyoncé ou Rihanna. Et ils se font de la maille, de la thune, du biff, du biz. Et si dans leurs textes, les deux frères se la jouent racaille, côté style, c’est fashion. T-Shirt Dolce & Gabbana à 275 € ou ceux du créateur Philippe Plein à 400 €.
Après tout, pourquoi pas ? C’est pas plus mal que les « Si à 50 ans, t’as pas de Rolex, t’as raté ta vie » d’un Jacques Séguéla. Si cela peut donner l’envie de l’effort, du travail, de la persévérance à des tas de petits jeunes qui ont le sentiment que chez eux c’est no future, tant mieux. Si cela peut donner envie de chercher des punchlines, de mémoriser des dizaines de rimes, de participer à des impros, d’écrire, de lire: C’est encore mieux.
Les paroles, les textes, les mots. L’univers du rap français, c’est souvent , essentiellement ? des récits de « Nique la police », des histoires de « deal », de grosses fumettes. Est-ce vraiment le seul univers que les jeunes de cité connaissent aujourd’hui ? Et puis bien sûr, des meufs, des filles qui sont de bonnes tepu, de suceuses de bites, une avalanche de fantasmes qui transpirent un univers de mecs obsédés par les femmes, mais frustrés dans leurs désirs, un monde de gros machos qui s’exhibent en disant : C’est moi qui ait la plus grosse. En écoutant les paroles de PNL, comme celles de dizaines d’autres , Kaaris, Booba, etc…téléchargées, chantées, répétées par des millions, on se dit que décidément ce n’est toujours pas facile d’être une femme dans notre société. Après 50 ans de féminisme et d’éducation égalité hommes-femmes, c’est un peu consternant. Quant à l’homophobie…
« J’suis dans ta ville, j’suis dans ta rue
En bas c’est dead, j’souris à l’envers
J’suis dans ta ville, j’suis dans ta rue
J’m’en bats les steaks, ma bite va leur plaire »
Qui fait écho aux rappeurs américains, comme Kanye West qui peut chanter :
« Tu vois, y’a les meneurs et y’a les suiveurs
Mais moi, je préfère être une bite qu’un suceur »
Sans que personne ne proteste. Et pour conclure avec PNL ;
«J’m’en bats les couilles, j’suis faya
J’vogue sur une plaquette d’aya
J’sais pas pourquoi j’déraille « 
Nous vivons une e-poque formidable

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