Il est de bon ton, il est fairplay de se réjouir de la victoire de l’Argentine au mondial, de fêter le talent et le parcours sportif de Lionel Messi. La liesse populaire qui embrase Buenos Aires pour célébrer la 3 ème étoile de « l’albiceleste », l’équipe argentine nous emballe tous.

Nous nous réjouissons d’autant plus volontiers qu’il n’y a aucun contentieux ou presque entre l’Argentine et la France. 

Et même cocorico ! l’incarnation de l’âme argentine, ou plus exactement de l’âme « porteña », c’est-à-dire de Buenos Aires, est un français, ou presque, Charles Romuald Gardès. 

Né à Toulouse en 1890, il émigra à l’âge de deux ans en Argentine, emmené par sa mère, blanchisseuse. Il devint Carlos Gardel, au moins aussi cher au cœur des Argentins que Maradona ! 

Il est l’incarnation du tango, cette musique, cette danse, à la fois populaire et sophistiquée, sensuelle et nostalgique qui expriment tellement l’âme de ce pays d’immigrants.  

Son œuvre et sa voix sont classées Mémoire du monde de l’UNESCO depuis 2003. 

70 ans après sa mort dans un accident d’avion en Colombie, sa statue sur sa tombe au cimetière de la Chacarita est toujours honorée par des admirateurs qui viennent tous les jours renouveler et allumer la cigarette qu’il serre entre ses doigts.

Une fois qu’on a dit ça, il ne faudrait pas non plus qu’on soit gaga. 

Parce que l’Argentine fait partie de ces pays où le foot est vraiment l’opium du peuple, pour la plus grande tranquillité des élites, dont beaucoup ont le cœur certes en Argentine, mais avec un pied à Londres ( ou à Paris) et l’autre dans des banques américaines. 

Car depuis l’époque de Gardel justement, depuis les gouvernements populistes de Juan Perón, et de son épouse Évita, l’Argentine va de crise en crise.

En 2001, le pays a même fait faillite comme une vulgaire entreprise reprise par un investisseur prédateur, avec défaut de paiement de sa dette extérieure, blocage de tous les comptes bancaires. Les Argentins ne pouvaient plus retirer d’argent, ils n’étaient plus payés, avec une inflation à 3 chiffres et la non-convertibilité de la monnaie nationale. 

Cette faillite argentine devrait d’ailleurs être une leçon pour tous les pays qui se croient au-dessus des questions de remboursement de dettes : Oui, un grand pays peut faire faillite et ce sont alors les plus pauvres qui paient les pots cassés. 

Et aujourd’hui ? L’inflation est à plus de 100 % (7 – 8 % chez nous), il est quasi impossible d’acheter une monnaie étrangère (le dollar s’échange donc au marché noir pour le double de son cours officiel), et surtout l’explosion de la pauvreté : À Buenos Aires, les bidonvilles s’étendent maintenant à perte de vue, 1/3 des Argentins vivent en-dessous du seuil de pauvreté. 

Et puis, sans vouloir gâcher la fête, et sans vouloir généraliser, les Argentins sont, comment dire…, plutôt racistes ! 

Cela a commencé il y a 150 ans avec le massacre consciencieux de tous les indiens ; Cela a continué avec la peur de devenir noir, comme le Brésil dont les Argentins moquent souvent le métissage. 

Les propos et les chants racistes, notamment à l’égard des Bleus sont légion, et repris jusque dans les rangs de l’« Albiceleste » : “Ils jouent en France mais sont tous d’Angola !“. Sans qu’il n’y ait aucune protestation des instances officielles argentines.

Et puis arrêtons d’être paternalistes, avec des réflexions du genre : « Leur pays est au bord du gouffre économique et social, voire même déjà au fond du trou, mais c’est formidable cette passion football, ce sens de la fête ». 

C’est du même acabit que «la pauvreté est plus douce au soleil ! ». 

On peut comprendre que les Argentins cherchent à profiter de cette parenthèse enchantée. Car dans quelques jours, la fête sera finie et tout le monde se retrouvera face aux réalités : L’Argentine, qui a pourtant tellement d’atouts naturels, parviendra-t-elle un jour à rompre le cycle infernal des crises de surendettement et d’hyperinflation ?

Il faudrait une main de Dieu à la Maradona pour sauver le pays, mais ça, ça n’existe pas dans la vie économique. 

Alors on peut réécouter « Mi Buenos Aires querido ». 

Carlos Gardel chante : « cuando yo te vuelva a ver…no habra más penas ni olvido… quand je te reverrai… il n’y aura plus ni chagrin ni oubli »

Et là on a envie de tout plaquer et de partir immédiatement pour Buenos Aires, qui même au bord du gouffre, reste une métropole unique, bouillonnante, fascinante, schizophrène… on dit que c’est la ville au monde où il y a le plus de psychiatres !