J’ai toujours entendu parler du Lyon-Turin. 

Une idée qui ne me semblait pas con du tout. Construire un tunnel sous les Alpes pour relier la France et l’Italie. Lyon-Turin en 2 heures, et pas en avion. J’en rêve.

J’ai toujours entendu dire que le « ferroutage » était une bonne solution, écolo et tout et tout, pour verdir les transports et réduire l’impact du transport des marchandises par la route. 

Et depuis 30 ans, j’ai toujours entendu annoncer au gré des sommets franco-italiens : « ça y est : feu vert pour le Lyon-Turin ». Mais en fait à chaque fois, il ne s’agissait que de faux départs. On creuse 2 ou 3 kilomètres de temps en temps et puis… et puis, plus rien. Car il a toujours manqué l’essentiel : un vrai engagement de Paris avec le nerf de la guerre, le financement. Une nouvelle illustration de la centralisation : l’aménagement du territoire continue envers et contre tout à être pensé par et depuis Paris.

Et le dossier risque de se compliquer encore avec l’arrivée des militants écologistes et particulièrement ceux, plus radicaux, du « soulèvement de la Terre ». 

J’entends Sandrine Rousseau qui affirme qu’il suffirait de moderniser les routes et voies ferrées existantes. 

J’entends les maires de Lyon ou de Grenoble, écologistes eux-aussi et eux-aussi opposés au projet qu’ils jugent anachronique, productiviste et dispendieux. Et ce ne sont pas des imbéciles puisqu’ils sont maires. 

Et c’est vrai que le Lyon-Turin coûte cher. Car il ne s’agit pas seulement de construire un tunnel, mais également, côté français, les voies d’accès à travers les pré-Alpes entre Chambéry et Lyon.  À l’est de Lyon devrait être construit un futur hub. Les camions venus du nord, du sud, seraient obligés de monter sur les navettes payantes qui leur permettront de traverser les Alpes, moyennant finances, évidemment. Comme dans le tunnel sous la Manche.

Ça coûte cher ? oui, mais ça sera fait pour au moins 100 ans.

Et puis je regarde les chiffres qui indiquent qu’un tiers des 150 Mt échangés avec l’Italie sur tout l’arc alpin passe par le France. Et que 93 % de ce trafic se fait par camion. Soit 3 millions de camions par an. Qui, venus de toute l’Europe, empruntent nos routes et autoroutes. Un trafic polluant qui dégrade notre réseau routier et dont l’entretien et la réfection sont payés par … nous contribuables français.  

Et puis chaque année je vois nos vallées alpines s’asphyxier un peu plus. 

Dans la vallée de Chamonix, dans la Maurienne, la montée au Fréjus, la pollution atmosphérique a tellement augmenté que les bronchites, allergies et autres maladies respiratoires sont de 15 à 20 % plus élevées qu’ailleurs en France. 

Dans la vallée de la Romanche entre Grenoble et l’Italie, certains jours, ce sont des colonnes de camions qui montent pare choc contre pare choc, frôlant souvent à quelques centimètres les maisons des villages traversés.  

Il y a 3 ans, les Suisses, qui avaient démarré leur projet après la France, ont inauguré le tunnel du Saint-Gothard, qui met Milan à 2 heures de Zurich. Et tous les camions qui passaient auparavant par le Saint-Gothard, par un col à 2100 mètres d’altitude, sont contraints aujourd’hui d’emprunter la navette ferroviaire. C’est tout bénèf pour le contribuable helvète. Et pour les marmottes et les bouquetins.

Les Autrichiens font de même avec le tunnel du Brenner, qui sera le plus long du monde – 64 kilomètres – et devrait être ouvert en 2030. L’Europe contribue à ces travaux pharaoniques, pour 11 milliards d’euros. Car de la Finlande à Malte ces aménagements sont salués comme étant plus économiques, et surtout plus « verts », plus respectueux de l’environnement alpin. 

Sauf chez nous en France. 

Car nous français, on est forcément plus malins, plus intelligents que les Suisses et les Autrichiens. Et les défenseurs de la Terre français sont évidemment plus éco-responsables que leurs homologues outre-alpins… 

Depuis Hannibal – pas l’abominable cannibale du « silence des agneaux » mais le le puissant chef des tribus puniques qui régnait sur la Tunisie et rivalisait avec les romains – on sait que la traversée des Alpes est difficile. 

À l’époque le conquérant venu de Carthage avait utilisé des éléphants d’Afrique pour gravir l’obstacle et surprendre les romains qui ne l’attendaient pas de ce côté-là. Mais à l’époque ils n’avaient pas ni GPS, ni ferroutage.

2000 ans plus tard, plus personne ne propose d’utiliser les éléphants. 

Même avec le réchauffement climatique, il vaut mieux les laisser chez eux en Afrique ou en Asie. 

Mais l’on peut peut-être essayer une technique de notre temps : pas le transport par route, mais le ferroutage.

Vérité au-delà des Alpes, erreur en deçà. Ou l’inverse.