J’avais fait le pari que Bolsanaro, Président sortant du Brésil, ne serait pas réélu. Sans être sûr qu’il puisse être battu dès le premier tour le 3 octobre dernier par son adversaire l’ancien Président Lula. C’est ce qu’annonçaient la plupart des sondages. Et ce n’a pas été le cas. Certes Lula arrive en tête, mais Bolsonaro a fait beaucoup mieux que prévu.

Un second tour a donc lieu dimanche. 

Et une nouvelle fois, Lula est en tête dans les sondages. J’espère donc avoir finalement raison en pronostiquant sa victoire, non seulement pour mon ego de journaliste mais surtout pour le Brésil, un pays qui mérite vraiment d’être bien gouverné, en tout cas de manière moins caricaturale que par Bolsonaro.

Mais ça va être ric-rac au mieux.

Et au pire…

Donc ce dimanche, plus de 150 millions d’électeurs brésiliens élisent leur Président. Mais aussi comme au premier tour, sénateurs, députés fédéraux, gouverneurs, députés des États, des centaines d’élus. Éclatés façon puzzle, les partis politiques rendent l’ensemble – Chambre des députés, Sénat fédéral, plus parlements des 26 +1 États – assez ingouvernable, avec cependant une tendance, le glissement vers la droite et l’extrême-droite. Même si Lula est élu dimanche, cela va être compliqué. 

Le Brésil est une démocratie, une des plus « grandes » d’ailleurs après l’Inde et les États-Unis. On y vote – près de 75 % de participation au premier tour – il y a un État qui fonctionne -plus ou moins bien – une Cour Suprême, une justice, avec au Brésil aussi des « petits juges » inflexibles dans leur traque à la corruption. 

Comme Sergio Moro, juge d’instruction du sud du Brésil qui en 2014, lance une opération « mains propres », en portugais « lavage express » « lava jeito ». Dans la foulée des scandales de détournements gigantesques liées aux JO et au Mondial, il démonte beaucoup d’affaires, liées aux pots-de vin versés par la compagnie Pétrobras ou le géant du BTP, Oldebrecht. 

En utilisant une disposition, permettant moyennant aveux, de réduire sa peine de prison, le dirigeant et les cadres de l’entreprise, acceptent de dénoncer les bénéficiaires de pots-de-vin.

Résultat : 1 450 mandats d’arrêt délivrés, 533 mises en accusation déposées et 174 personnes condamnées. Pas moins de douze chefs ou ex-chefs d’Etat brésiliens, péruviens, salvadoriens et panaméens ont été mis en cause. Et d’autres personnalités aux Etats-Unis, en France. Même l’ancien président Lula se retrouve éclaboussé et est emprisonné en 2018. Et ne peut donc se présenter aux élections de 2019.

Bolsonaro est élu, l’extrême-droite se présente comme des « Monsieur propre ». Le « petit » juge Sergio Moro est nommé ministre de la Justice. 

Mais un an plus tard, retournement de situation. 

On découvre que les procédures ont été irrégulières, manipulées. 

Le ministère public fédéral met fin à « Lava Jato ». La Cour suprême ordonne la levée des charges portées contre Lula, et statue que le juge Moro a été « partial » lors de son instruction. 

Lula est libéré le 8 novembre 2019, mais trop tard pour les élections. Puis il sera totalement innocenté.

Le petit juge démissionne en 2020, et part à Washington, embauché par un cabinet d’avocats spécialisé en conseil et contentieux des affaires, et situé pratiquement en face du siège du Trésor américain…

Même s’il a été blanchi, l’image de Lula reste sérieusement abîmée auprès des Brésiliens, notamment dans les classes populaires. D’autant plus que Bolsonaro use et abuse de la rengaine Lula = corruption. En plus de : “c’est un communiste, c’est un satan, c’est Sodome et Gomorrhe“. Tout étant « fake » évidemment.

Car le président sortant se rêve en Donald Trump tropical. 

Comme Trump, il multiplie les fake news contre Lula, son compte twitter est suivi par 46 millions de personnes.

Comme Trump, il ne cesse de dénoncer à l’avance une supposée fraude massive, des élections truquées par ses adversaires. 

Comme Trump, il chauffe ses partisans, qui ont constitué un peu partout des milices armées. Une des premières mesures de Bolsonaro Président avait été justement d’instaurer la vente libre des armes au prétexte que chaque brésilien devait pouvoir se défendre lui-même contre les malfaiteurs. Le Brésil est un des pays les plus violents du monde, avec des taux de criminalité et d’homicides parmi les plus élevés.

Beaucoup craigne un scénario genre assaut du Capitole à Washington en janvier 2021. 

Mais au Brésil, les institutions, les élus, l’armée, n’ont pas le même ancrage démocratique qu’aux Etats-Unis – la dictature militaire n’a pris fin qu’en 1985. Un éventuel assaut par les partisans de Bolsonaro de la Place des Trois Pouvoirs à Brasilia pourrait alors tourner à l’avantage de ceux-ci. Des affrontements dans les villes pourraient également se produire. 

De mémoire de brésilien, jamais la tension n’avait été aussi forte, jamais les adversaires ne s’étaient autant menacés, insultés. Et tout le monde se demande ce que feront les militaires.

Bolsonaro, ancien militaire, n’a cessé de leur faire des appels du pied. Et certains généraux n’oublient pas que Lula avait tenté de mettre en place une Commission Vérité sur les crimes de la dictature… Contrairement à d’autres pays, il n’y a jamais eu au Brésil de procès contre des responsables de violations des droits de l’homme. Une loi d’amnistie votée en 1979, donc avant le rétablissement de la démocratie, garantit toujours l’absence de poursuites contre des policiers ou des militaires tortionnaires.

« La tristesse n’a pas de fin. Le bonheur, si » dit la bossa “A Felicidade” composée par Antonio Carlos Jobim et Vinicius de Moraes en 1959 pour le film “Orfeu negro“, Palme d’or à Cannes, Oscar à Hollywood.

La chanson raconte que la joie du peuple est la grande illusion du carnaval, un moment de rêve, mais tout se termine le mercredi, dernier jour du carnaval.