J’adore les citrouilles. Plus exactement, les potirons ou les giraumons. En soupe ou gratins, miam ! Mais en lanternes, vitrines, déguisements qui envahissent jusqu’aux chambres de nos enfants, beurk ! Cette indigestion orange est un triste révélateur du grand remplacement de nos racines culturelles. 

Nous sommes tous embarqués dans un grand méli-mélo d’une culture mondiale fabriquée, pour schématiser, par Hollywood. Et qui modèle nos imaginaires que l’on soit à Paris, Abidjan ou Séoul. Et qui évidemment s’exprime dans une novlangue, le « globish », le « global english » Il serait peut-être plus juste de dire « global american », ce mauvais anglais qui est devenu notre lange d’échange universelle.

Cela a commencé sans doute par les westerns qui nous ont plongés dans un univers, un environnement, une histoire, des mythologies qui nous sont complètement étrangères, et qui en plus transforment en épopée « Go west Young men », une colonisation brutale qui a éliminé la quasi-totalité des peuples premiers d’Amérique. 

Résultat : Depuis notre enfance, même sans jamais avoir vu le Grand Canyon ou Monument Valley, on pourrait les décrire mieux que les gorges du Verdon ou la chaîne des Puys. 

Nous savons dire burger avant d’être capable de dire pain. 

Et puis il y a eu Disney. Aujourd’hui on ne connaît plus les contes d’Andersen, Grimm ou Perrault, mais leurs resucées américaines. 

Plus grand monde n’a lu les textes de ces écrivains danois, allemands, français, mais tout le monde peut chantonner « un jour, mon Prince viendra ». Quant au château de la Belle au bois dormant, il a été dessiné en Californie ou en Floride. Je préfère, même si c’est kitsch, « Neuschwanstein » – C’est quoi, ça, Neuschwanstein ?

Même les afro-américains nous produisent des séries qui sont américaines avant tout. Oui, il y a eu « Roots » et « Kunta Kinté » , un des premiers héros noirs auxquels le monde, pas seulement les noirs pouvait s’identifier. Aujourd’hui, on a Wakanda, qui nous présente une Afrique totalement clichés et aseptisée. Mais finalement fabriquée de la même manière que toutes ces séries anglo-saxonnes, qui ont créé un imaginaire mondial qui s’est substitué à nos propres mythes et légendes. 

Et pourtant partout sur la terre, les différentes cultures et civilisations se sont organisées autour de grands mythes, d’épopées, de héros, de personnages hors normes, faisant passer les scénaristes de « Game of Thrones » pour des enfants de chœur. Du sexe, des tabous, des monstres, l’inceste, le meurtre du père, la violence, le racisme, la démocratie, la dictature, tout est déjà dans les contes et légendes des grecs anciens, dans leurs tragédies, leurs poésies, leurs mythes. 

Même le Seigneur des anneaux – que j’aime bien : les décors, la mise en scène etc…, j’adore les scènes avec Golum attiré par « le précieux » l’anneau magique et maléfique– Mais ça me fait penser à quelque chose : À l’anneau des Nibelungen ! Walkyrie et Walhalla, les grandes sagas germaniques, on en a même fait des opéras il y a 200 ans. 

Vous voulez de l’épopée ?  Prenez celle des vikings, qui sont allés jusqu’en Amérique, 500 ans avant Christophe Colomb.

Vous voulez de l’épopée ?  À quand une série sur l’incroyable aventure des polynésiens. Partis du sud-est asiatique, naviguant sur leurs Va’a , leurs pirogues doubles, à contre-courant, sans espoir de retour, sans savoir ce qu’ils allaient trouver, ils ont atterri sur des îles microscopiques et sont arrivés à coloniser l’ensemble du Pacifique depuis la Polynésie, jusqu’à Hawaï et la Nouvelle-Zélande.

Mieux que Game of Thrones, je préférerais binge-watcher  »L’Iliade »,« l’Odyssée », les « Perses », « Œdipe Roi», les « Nuées »…« je connais pas, c’est pas ma génération » . 

Excuse à la con, moi non plus je ne suis pas né à l’époque de Périclès (- 450 avant JC), et moi non plus, je n’ai pas pris le temps de me plonger dans l’apprentissage du grec et je n’ai pas lu ces textes dans leur version originale. 

Mais j’ai eu la chance de rencontrer une passeuse, une transmetteuse. Jacqueline de Romilly. 

Depuis l’âge de 14 ans, elle lisait, parlait, pensait en grec ancien. Elle a passé sa vie à nous relire, traduire, expliquer, faire découvrir ces textes où tout ce qui occupe et préoccupe les hommes d’aujourd’hui, se trouve déjà. 

Et à 90 ans passés, elle continuait à se rendre dans les lycées de la banlieue parisienne, où elle rencontrait un public qui au début la regardait en se demandant c’est qui cette yeuve qui va nous faire ièch ? Et puis à la fin de son cours, tous en ressortaient captivés, plus riches en fait… 

Je devais l’interviewer pour la grande interview du matin d’Europe 1,  où je remplaçais pour les vacances, Jean-Pierre Elkabbach. 

Elle m’a reçu chez elle. L’ascenseur montait directement dans son entrée. Elle était déjà presque aveugle, mais sa passion était toujours là. Et en plus de l’interview, l’entretien s’est prolongé deux heures, qui m’ont permis, un peu, de mettre mes pas dans les pas « des héros et des Dieux ». 

« Pourquoi la Grèce ? » a été un de ses derniers livres …

Ce n’est pas d’un grand remplacement venu d’Afrique ou d’ailleurs dont nous devrions avoir peur, mais bien de celui déjà opéré, qui nous a fait adopter comme toute la planète, une culture globish, global-english qui nous coupe progressivement de nos racines millénaires.