Pierre Soulages est mort. À 102 ans passés, il était le peintre français vivant le plus « côté ». Et il était connu pour ses noirs, ses tableaux entièrement noirs. 

De lui et de son œuvre je ne connaissais donc que quelques clichés. 

Mais j’ai eu la chance de le rencontrer et de passer une après-midi chez lui dans sa maison à Sète. C’était il y a quelques années dans les mois précédant l’ouverture du très beau musée qui lui est consacré dans sa ville natale de Rodez, un musée remarquablement développé par son directeur Benoît Decron.

Soulages c’est d’abord un physique impressionnant. Un très grand et bel homme – on ne pense même pas vieil homme – très digne, tout de noir vêtu, crinière blanche, visage allongé, buriné : la grande classe !

Soulages c’est aussi un accueil. Méditerranéen, chaleureux, disponible. À ses côtés, sa femme, aussi menue qu’il est immense, elle aussi accueillante et amicale. 

Soulages c’est cette maison, murs en béton, grandes baies vitrées, dessinée par lui-même, dans un cadre… comment dire, merveilleusement beau : Une pinède sur les pentes du Mont Saint-Clair avec une vue sur la Méditerranée à couper le souffle. 

La lumière baissait doucement avec le soleil couchant, et Soulages nous expliquait sa démarche, comment il avait compris que le noir dans ses épaisseurs et aspérités pouvait accrocher la lumière. 

Cette anecdote, il l’avait expliqué des milliers fois, mais pour nous, il nous la racontait comme si c’était la première fois. Soulages était un formidable conteur.

Et puis, il nous a emmené dans son atelier, où il travaillait sur une nouvelle toile. Et là, il nous a montré toutes les coulisses, la complexité du travail de préparation de cette toile immense. La toile tendue avec des câbles, le cadre, la préparation de ses outils, pinceaux, palettes, et de sa peinture, ce fameux noir. Et comment il se battait, physiquement, avec la matière.

Des moments rares. 

Et puis j’ai repensé aux vitraux de l’Abbaye de Conques non loin de Rodez. Cela paraissait complètement fou : Il était l’artiste du noir, et c’est à lui que l’on commandait des vitraux pour ce superbe bâtiment roman, monument historique, classé Unesco etc…

Et le résultat est génial. 

De l’extérieur, les vitraux paraissent opaques, gris, minéraux, se fondant dans les pierres du bâtiment. Mais à l’intérieur, c’est tout le contraire. Les vitraux sont composés de verres de textures, de compositions, d’épaisseurs différentes. Ils difractent la lumière différemment, certains plus rouges, d’autres plus bleus, d’autres plus jaunes, etc… 

C’est ce que nous avait raconté Soulages cet après-midi-là à Sète, expliquant sa recherche du bon verrier, testant les verres, tant d’échecs, tant de travail, jusqu’à, jusqu’à ce résultat, qui peut paraître abstrait, intellectuel, comme ça sur le papier, mais qui quand on est dedans, dans cette lumière, est au contraire un éblouissement très instinctif, physique. 

Noir à l’extérieur, lumineux à l’intérieur. Merci Pierre Soulages.