Kendrick Lamar était de passage à Paris. 

2 concerts exceptionnels à Bercy, pleins dès l’annonce de l’ouverture de la vente de places en mai dernier. 

Évidemment, car Kendrick Lamar est certainement le plus grand, en tout cas un des plus grands, rappeurs, hip-hopers, artistes américains du moment. Il se démarque notamment par la force et la qualité de ses textes, salués par l’attribution du Prix Pulitzer en 2018. Une première !

Par quoi commencer ? … par son show ? 

Là il y a méprise pour ceux qui s’attendaient à un show à la Prince, à la Kanye West/ Jay-Z, ou comme la dernière finale du Super Bowl, où Lamar partageait la scène avec Snoop Dog, Dr Dre, 50 Cent, Eminem, Mary J Blidge, du très lourd quoi !

Son dernier disque, dont il fait actuellement la promotion, Mr. Morale & The Big Steppers, est plus intimiste, plus sombre, plus révolté, l’atmosphère ne se prêtait donc pas à des délires pyrotechniques (même s’il y a eu les incontournables jets de flammes) .

Mais quand même : 

Pas de musiciens, pas de DJ et autres virtuoses de la musique électronique : ils avaient été confinés dans la fosse sur les bas côtés de la scène. 

La chorégraphie, la mise en scène ? Quelques danseur.euses habillés dans des combinaisons intégrales sorte de mix entre une tenue de pénitent de Séville et de décontamineur de centrale nucléaire, sautillaient autour du chanteur, donnant parfois l’impression d’une course en sac de pommes de terre. 

Et puis, deux grands écrans. 2….Non mais on est à Bercy ou quoi ! Et quand on est habitué à la créativité des vidéos qu’a produites Lamar, comme « Humble » ou alors « The heart Part 5 » avec son morphing transformant Lamar en Will Smith ou Kobe Bryant…on est un peu, beaucoup déçus…

Donc pas d’effet waou.

Ensuite il y a le public. 

Respect et admiration pour ces milliers, en tout cas une bonne moitié des quelques 20 000 spectateurs, qui semblaient connaitre par cœur les textes des chansons. 

On se dit : « mais qui prétend que les jeunes français parlent mal l’anglais ». Et puis comment font-ils pour mémoriser le « flow », le débit qui est tellement rapide, les « rimes » et le vocabulaire tellement riches ? En fait, les « jeunes » ont des mémoires d’éléphants.… On nous aurait menti et on nous parle de baisse de niveau scolaire !

On m’explique que c’est parce qu’ils écoutent ces musiques en boucle, et qu’avec internet, ils peuvent même traduire les paroles.  Mais là j’émets quelques doutes sur le niveau d’anglais et la compréhension des textes de Lamar par l’immense majorité de spectateurs qui chantaient avec lui. 

Parce que ce n’est pas une traduction mot pour mot qu’il faut, c’est une traduction d’une langue, d’une culture, même pas américaine, mais celle de Compton, un des ghettos noirs de Los Angeles. Avec des références, très très pointues. 

Qui est Paula dont il parle ici, que s’est-il passé à l’école en CE1, et la strophe “eat at Four Daughters, Brock wearin’ sandals”. J’avoue que je ne connaissais pas ce restaurant de Manhattan Beach en Californie, et que je ne connais pas non plus Brock…

Et dans une de ses chansons les plus récentes : Mother I sober, tous ceux qui à Bercy reprenait « Fuck you nigger » comprenait-il ce que Lamar chantait : Une dispute entre une femme épuisée et son compagnon violent, et ce fardeau dont il dit avoir mis 30 ans à se débarrasser. Un fardeau transmis de générations en générations, dans les familles noires pauvres : la maltraitance, la violence, la drogue, le viol, celui de sa mère sous ses yeux, alors qu’il avait 5 ans, et qu’il avait appris ensuite que sa grand-mère l’avait été aussi. Il rappe qu’il lui a fallu attendre l’âge adulte, son succès, son couple, pour qu’il puisse enfin se sentir libéré de ce sentiment de culpabilité, celui de ne pas avoir réagi à 5 ans, pour défendre sa mère…

Si ces milliers de personnes de Bercy sont aussi capés que ça en anglais-américain-de-Compton-Los-Angelès, alors respect, nos jeunes générations sont équipées pour affronter le monde.

Si non… alors cela veut dire qu’ils ne font pour la plupart que répéter des sons et des paroles qu’ils ne comprennent pas. Et que, c’est sans doute alors la même chose pour les paroles de Booba, Nekfeu ou PNL… 

Heureusement parce que quand on écoute bien les paroles de beaucoup de leurs chansons, comme DD de PNL :« je connais la route connais l’adresse, j’encule sur le continent d’Hadès, sales comme ta neuch, mèches courtes, fortes comme la ppe-f’ que j’écoule » ponctué en permanence par « j’men bats les couilles », on est un peu consternés. 

Sandrine Rousseau ferait peut-être bien de délaisser le barbecue, le machisme a encore de beaux jours devant lui !

Mais revenons à Kendrick Lamar, qui boxe lui dans une autre catégorie. Pas de super show, mais un artiste qui s’inscrit dans la lignée des plus grands. Dont les textes valent le détour, dont les clips méritent d’être vus et qui par son comportement et sa vie personnelle, détonne dans l’univers très « suck my cock » « blingbling » et « Famille Kardashian » des rappeurs américains. 

« Tu l’as fait, je suis fier de toi. Tu as brisé une malédiction générationnelle » conclue une de ses chansons : « I am. All of us » . « Je suis. Nous tous”.