Les Français, encore aujourd’hui, grandissent avec l’idée que leur langue, notre langue est un trésor que le monde entier nous envie. 

« De l’universalité de la langue française » ça, c’était il y a 3 siècles. 

A l’époque, cette universalité s’étendait surtout à l’Europe, car pour les européens en ces temps-là, l’Europe c’était le monde. 

Alors oui, Frédéric II de Prusse parlait mieux français qu’allemand, langue qu’il réservait surtout pour commander ses soldats et ses chevaux. Et oui la couronne anglaise gardait de ses origines normandes des devises en français : « Dieu et mon Droit » ou « Honni soit qui mal y pense ».

Ensuite il y a eu la colonisation, l’invasion du Maghreb, du Sahara, de l’Afrique, de la Cochinchine. Sur une carte, ça avait de la gueule : des taches roses sur la mappemonde : « Français : Voici ton empire ! »

Aujourd’hui, nous faisons la même chose. Pour estimer le nombre de personnes parlant le français, nous additionnons les populations de tous les pays qui ont plus ou moins à voir avec la langue française. Et le résultat est très impressionnant : Des centaines de millions de francophones, juste derrière l’anglais, le chinois, l’hindi, l’espagnol, l’arabe ou le Bengali. 

Flatteur, mais faux. 

Qu’y a-t-il de commun, entre le Brésil parlant portugais, le Mexique, espagnol, et le Congo Kinshasa parlant français : Rien. 

Dans la rue à Mexico ou Guadalajara, tout le monde parle espagnol. A Rio ou Manaus, tout le monde parle portugais, même si les langues des populations premières n’ont pas complétement disparu. Mais qui parle vraiment français au Congo ? Tendez l’oreille à Kinshasa, à Goma. Vous entendrez du lingala, du kikongo ou du swahili. 

Même à Dakar, capitale du Sénégal, dont les élites, les écrivains comme récemment Mohamed Mbougar Sarr, Prix Goncourt en 2021, contribuent toujours autant à la qualité de notre littérature, dans la rue, dans les campagnes, on entend le wolof pas le français. 

L’avenir de notre langue n’est plus à Paris, mais à Kinshasa : Le Congo est aujourd’hui par sa population, le premier pays francophone du monde. Presque 100 millions d’habitants aujourd’hui : 200 à 250 millions en 2050 (la France ne dépassera pas les 70 millions ). Mais si le français y est bien la langue officielle, elle n’est pas la langue populaire.

Or sommes-nous sûrs que les Congolais continueront à choisir le français comme langue d’échange entre les différentes langues nationales de ses populations, et comme langue d’échanges internationaux un peu comme l’Anglais aujourd’hui en Inde ? 

S’ils suivent l’exemple du Rwanda, eh ! bien adieu la francophonie !

Autrefois francophone, l’anglais est depuis 2003 l’une des trois langues officielles du Rwanda et a remplacé en 2010 le français dans son rôle de langue de scolarisation. Et la présence du Président Kagame au sommet de la francophonie à Djerba n’y change pas grand-chose.

Quel intérêt les Congolais auraient-ils d’ailleurs à conserver le français ? Auront-ils la volonté de ne pas se couper d’un héritage qui n’est pas celui du colonisateur, mais le leur : Deux cents ans de productions intellectuelles, littéraires, artistiques, politiques de leurs aînés qui se sont servis du français pour transmettre leurs messages. 

Comme pouvoir relire ou réécouter le discours – en français – de Patrice Lumumba, le 30 juin 1960, pour la proclamation de l’indépendance du Congo, devant un roi des Belges consterné d’entendre le leader charismatique, sauvagement assassiné quelques mois plus tard, dire leurs quatre vérités aux anciens colonisateurs :« nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir, matin midi et soir, parce que nous étions des nègres…Qui oubliera qu’à un noir on disait « tu », mais parce que le « vous » honorable était réservé aux seuls blancs »? .

Auront-ils le désir de continuer à lire Senghor, Césaire, Damas, Jacques Stephen-Alexis, Alain Mabanckou, ou encore Montaigne, Dumas, Rimbaud ou Virginie Despentes dans leur langue d’origine ? 

Tout cela ne pèsera pas lourd face au côté pratique de l’anglais, langue réellement universelle. Y compris en Afrique où quand ils se rencontrent les africains de langues maternelles tellement diverses choisissent l’anglais pour échanger. Comme d’ailleurs les européens entre eux, même après la sortie des Anglais de l’Union européenne…

D’autant plus qu’au même moment, nous nous replions sur nous-mêmes. Et c’est le paradoxe. Et c’est là où nous sommes très … cons. 

Il est en effet con-sternant de con-stater que par peur d’être envahis, par peur d’un grand remplacement, nous fermons nos frontières, nos universités aux jeunes venant de pays « francophones ». 

Un diplômé marocain ou sénégalais se voit « barrés » chez nous alors que le vaste monde anglophone lui ouvre les bras. Si ce ne sont pas les États-Unis ou l’Angleterre, alors le Canada, l’Australie ou même les universités chinoises ou indiennes. 

Même nos plus grandes écoles basculent dans l’anglais. Pour attirer le chaland, elles proposent des masters, des cursus où il n’est plus besoin de parler français. 

Tant pis pour notre orgueil de coqs gaulois, mais nous devons nous préparer au français, langue microscopique sur la planète. Ou alors il faudrait que nous changions, et que le point de vue sur la langue française ne soit pas encore toujours celui de Paris. Peu de chances, hélas, que ça arrive.

C’est dommage, mais après tout ce n’est pas la taille, ni le nombre de locuteurs qui font la vitalité d’une langue. 

L’islandais n’est parlé que par 300 000 personnes, ce qui n’empêchent pas les Islandais d’être parmi les plus grands lecteurs du monde. 

Écrire en yiddish, langue aujourd’hui pratiquement disparue, n’a pas empêcher Isaac Bashevic Singer d’être reconnu par le Prix Nobel.

Que peut-il donc bien ressortir de ce 18 ème sommet de la francophonie qui vient de se tenir à Djerba en Tunisie ?

Le Président du Congo RDC n’a pas voulu venir, et les congolais n’ont pas voulu figurer sur la photo officielle aux côtés des rwandais.

Comment on dit en français ? Cause toujours, tu m’intéresses pas…