C’était en octobre 1989 à Berlin-Est, le 7 octobre. 

Ça craquait un peu partout dans le bloc de l’Est. 

Depuis qu’au printemps précédent, la Hongrie avait décidé de démanteler les barbelés qui la séparaient de l’Autriche, le rideau de fer commençait à avoir des trous.

Mais la RDA, la République Démocratique Allemande, avait prévu de fêter son 40 ème anniversaire.

Et l’État « des ouvriers et des paysans », dirigé d’une main de fer par Erich Honecker, un communiste tendance Staline, en tout cas pas du tout dans la ligne glasnost et pérestroïka, avait tout organisé « à l’ancienne » : défilé militaire, spectacles des FDJ, les jeunesses communistes, et la présence de tous les dirigeants des États « frères », et donc forcément celui du « grand frère » soviétique, en l’occurrence Gorbatchev. 

La presse et les médias de l’Ouest étaient les bienvenus pour diffuser des images du bonheur socialiste est-allemand, de cette Allemagne aux avant-postes de la lutte anticapitaliste, protégée par le mur, baptisé par le régime : « antifaschistischer Schutzwall » « Mur de protection antifasciste ». 

Envoyés spéciaux de TF1, nous nous préparions à n’être autorisés à filmer que les défilés, les discours officiels, les micro-trottoirs « spontanés » avec des spectateurs auxquels on avait bien appris la leçon. 

Tout avait été bien préparé. 

Tout, sauf l’attitude de Gorbatchev.

Par sa seule présence, le dirigeant soviétique faisait naître l’espoir d’un changement. 

Dans la foule pourtant triée sur le volet, parmi les slogans officiels, quelques pancartes insolites en russe : « J’aime Gorbatchev ». Quelques cris aussi : « Gorbi ! Gorbi ! Hilf uns ! Gorbi, aide-nous ». Et ces cris devinrent de plus en plus forts quand Gorbatchev décide, à la stupeur des organisateurs de prendre un bain de foule. 

Que faire ? on ne va pas empêcher le patron, le chef du Kremlin de faire ce qu’il veut. 

Gorbatchev discute alors avec la foule, qui lui crie « aide-nous ». 

Et un peu plus tard, Gorbatchev déclare aux dirigeants est-allemands tétanisés : « Celui qui est en retard sur l’histoire est puni par la vie ».

En fin d’après-midi, alors que la réception officielle bat son plein dans le Palais de la République, aujourd’hui détruit, et qui avait été construit sur les ruines de l’ancien palais royal de Berlin, des petits groupes de manifestants commencent à se masser sur la vaste place située sur l’arrière du bâtiment de l’autre côté de la rivière Spree. 

Ils appellent Gorbatchev, ils reprennent les slogans sur la liberté de voyager, sur « ouvrez le mur ». Certains officiels sortent sur les balcons pour voir ce spectacle totalement stupéfiant, la police intervient brutalement, la Stasi, la police politique, habillée en civil, mêlée aux manifestants est particulièrement brutale. 

Ce qui devait être la fête du bon élève du bloc de l’Est se termine dans les cris, les gaz lacrymogènes, les explosions, la confusion. 

15 jours plus tard, Erich Honecker était limogé. 

Un mois plus tard, le mur ouvrait. 

Un an plus tard, les deux Allemagnes s’unifiaient.